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l’homme et la terre. — contre-révolution

s’établit entre la répartition géographique des forces, d’un côté dans le Parlement, de l’autre dans la nation elle-même, dont la volonté finit toujours par prévaloir.

Malgré la résistance de tous les éléments conservateurs et surtout de l’Eglise, cette volonté nationale, exercée maintenant pour un véritable progrès, réussit également à faire émanciper les esclaves des colonies anglaises. Déjà, depuis 1808, l’importation des noirs dans les plantations américaines avait été officiellement interdite ; en 1811, le Parlement avait assimilé la traite à la piraterie et avait fait approuver cette interdiction par des traités conclus avec les diverses nations d’Europe. Puis en 1830, le gouvernement britannique avait rendu leur liberté à tous les esclaves de la Couronne. Enfin, en 1833, s’accomplit le grand acte de la libération générale : le Parlement vota la somme d’un demi-milliard de francs pour racheter aux planteurs les esclaves dont le nombre s’élevait à près de 639 000 individus ; dans la seule île de la Jamaïque on en comptait 322 000. Cet acte d’émancipation fut loin d’être, comme on a pris l’habitude de le répéter, la première mesure collective prise à l’égard des nègres asservis. D’abord, en 1792, la République française avait déjà prononcé la libération des esclaves de Saint-Domingue, néanmoins, l’opinion devenue légalitaire oubliait volontiers les actes de la Révolution pour ne tenir comme avenues que les œuvres de gouvernements bien établis. Puis, en cette même année 1792, le Danemark avait aboli la traite dans ses colonies des Indes occidentales et, en 1803, avait renouvelé sa décision d’une manière plus effective en interdisant que les membres d’une même famille puissent être séparés, en organisant l’instruction parmi les nègres, et par diverses autres mesures, sans toutefois aller jusqu’à ordonner la libération[1]. »

L’exemple de la Grande Bretagne fut successivement imité par les autres États d’Europe, en partie sous la pression de la volonté populaire mais peut-être plus encore par obéissance à l’ascendant de l’Angleterre, qui avait bien voulu consentir à se priver des bénéfices matériels de la traite des noirs et de la production en grand des denrées coloniales, sans que pour cela elle acceptât volontiers la concurrence des autres nations. Ayant pâti financièrement de son propre sacrifice,

  1. The Examiner, 24 mars 1877.