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l’homme et la terre. — la révolution

aux opinions toutes faites que lui présentent les « pasteurs des peuples. A cet égard, la nation ne changea point ou plutôt, elle ne se modifia qu’avec lenteur, par le déplacement du centre de gravité des hautes classes vers la classe moyenne, de la noblesse et du clergé vers la bourgeoisie de plus en plus nombreuse et consciente de son intelligence et de sa force.

Dans les dernières années de son existence prérévolutionnaire, la monarchie manqua complètement de sagesse, d’esprit de suite et de tenue. On eût dit que, prise de folie, elle se plaisait aux aventures et aux imprudences pour hâter le jour de sa ruine. Marie-Antoinette, qui n’était devenue Française que pour le triomphe des représentations fastueuses, pour la gaieté des fêtes et l’intérêt plaisant des intrigues, était restée princesse autrichienne pour les intérêts de sa maison et, très ouvertement, se faisait l’agent de sa mère Marie-Thérèse, puis de son frère Joseph II ; ses ingérences politiques la mettaient toujours en vue, et ses folles équipées, ses amitiés compromettantes, enfin la honteuse affaire du « Collier », qui la montra recevant des bijoux de mains déshonorées, toutes ces choses la retenaient au premier plan, sous l’attention malveillante du Paris frondeur. Quant au roi, homme de bonne pâte, de volonté nulle et de gros préjugés, il se laissait aller à toutes les incohérences, à toutes les contradictions des politiques diverses qui l’entraînaient successivement, tantôt comme roi de France, tantôt comme mari de l’ « Autrichienne », comme philanthrope au cœur sensible, puis comme gentilhomme, religieux observateur de tous les vieux abus. D’ailleurs, l’essence de la royauté, ce n’est pas le pouvoir, mais le caprice. Le prince doit se sentir au-dessus de tout droit, de toute règle, pour se croire vraiment le maître. « L’essence et la vie du gouvernement, dit Michelet, était la lettre de cachet ». Même lorsque le roi ne l’est plus que de nom, après la prise de la Bastille, en février 1790, il garde encore son privilège de faire enfermer qui lui plaît[1].

Jusqu’en l’année 1788, la torture avait été appliquée dans toute sa férocité par ordre du roi de France. La « question » qui, sous tant de formes, est encore d’usage courant devant les tribunaux civils et militaires, était présentée comme un devoir social. En 1780, Louis XVI avait

  1. Histoire de France, vol. XVII, p. 337.