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brésil et portugal

naient les langues de l’Ibérie, espagnol et portugais, il s’annexait dans le bassin de la Méditerranée cette petite terre de Grèce, précieux, héritage des temps passés que les conquérants Osmanli avaient rattachée violemment pendant quelques siècles au monde de la culture asiatique. Par un mouvement de reflux dans le sens d’Occident en Orient, l’Europe reprenait la contrée qui, parmi toutes, devait être considérée comme le pays même des origines, celui dans lequel s’était accompli, cent générations auparavant, ce grand labeur intellectuel et moral qui fut le point de départ de notre activité moderne.

Après l’intervention russe, en 1770, les Hellènes de la Morée et des îles avaient eu à subir de terribles représailles, surtout de la part des bandes albanaises que le gouvernement turc avait lâchées dans la Grèce avec licence de meurtre et de pillage. De nouveau, on put se demander si les vaincus pourraient se relever de leurs désastres.

Certes, La race grecque, ou plutôt l’ensemble des diverses populations qui parlaient l’idiome hellénique et que l’on comprenait sous le nom de « Grecs », aurait été complètement exterminée, jamais la nation n’aurait pu resurgir, si le régime imposé par les conquérants turcs après la prise de Constantinople avait duré plusieurs générations. Tous Les Grecs avaient été déclarés esclaves, sans droit de rien posséder en propre, et, passé l’âge de dix ans, chacun devait payer un tribut, le haratzch, pour racheter une année de vie. Chaque année, les chrétiens avaient à livrer un enfant sur cinq, afin qu’il fût élevé dans le culte de l’Islam et dressé à la guerre contre ses propres compatriotes. Beaucoup de mères tuaient leurs fils de leur propre main pour les soustraire à cette effroyable destinée, puis elles se tuaient aussi. Heureusement, les Turcs ignorants, incapables de gérer l’administration formaliste de ce qui avait été l’empire bysantin, devaient s’en remettre pour cette besogne à des étrangers, c’est-à-dire précisément à des Grecs qui devenaient responsables pour l’ensemble de leur nation et qui, moyennant finances ou complaisances, réussissaient souvent à se faire accorder des privilèges pour eux-mêmes ou les gens de leur nationalité. Bientôt le jour vint où les Grecs ne furent plus obligés de livrer leurs enfants pour le service des armées ; même nombre d’entre eux, grâce à leur souplesse aussi bien qu’à leur intelligence des affaires, arrivèrent à exercer des fonctions diplomatiques fort élevées comme drogmans, secrétaires, ambassadeurs effectifs sinon officiels.