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l’homme et la terre. — contre-révolution

de Caracas (1810). Bientôt il eut à fuir pour la seconde fois et à reprendre la campagne sur les plateaux néo-grenadins. Poursuivi par l’insuccès, il se retire encore à l’étranger, puis, en 1816, il apparaît de nouveau dans le Venezuela, et cette fois il peut lutter avec acharnement sans abandonner le territoire contesté et commence par s’assurer le concours des esclaves en proclamant l’abolition de la servitude. C’est alors que la guerre prend une allure vraiment révolutionnaire et républicaine. Le roi Ferdinand VII est oublié, et les Llaneros des grandes plaines du Venezuela, non moins hardis que les Gauchos des pampas platéennes, parcourent l’espace sur leurs chevaux rapides, enivrés de leur sauvage indépendance. Se massant et se dispersant tour à tour, ils surprennent l’ennemi en lui échappant soudain ; on voit même un escadron de ces bandes se lancer en plein fleuve pour s’emparer à la nage d’une flottille espagnole. D’après la légende, cette merveilleuse cavalerie était composée de fantômes : c’étaient des revenants, des âmes, qui entouraient le général Paez, le meilleur lieutenant de Bolivar. D’un autre côté, on voit le gouverneur général écrire au roi à la suite d’une victoire sur les Colombiens : « Toute personne sachant lire et écrire a été traitée comme rebelle ; en détruisant tous ceux qui ont ce savoir, j’espère couper à la racine l’esprit de rébellion ».

En 1819, la région des montagnes grenadines était déblayée de soldats espagnols ; deux ans après, la victoire de Garabobo (juin 1821) libérait le Venezuela, mais Porto-Cabello résista jusqu’en 1823. Entre-temps, Bolivar était allé au secours des Ecuadoriens et des Péruviens. Là aussi, à Ayacuclio (19 décembre 1824). les Espagnols furent mis en déroute. Sauf Callao, qui ne tomba qu’en 1826, tout l’immense empire colonial de Philippe II s’était constitué en républiques nominales n’ayant certes pas encore conquis leurs libertés civiques, mais jouissant déjà d’une pleine indépendance comme États autonomes. Même dans la mer des Antilles, où pourtant le gouvernement espagnol pouvait envoyer plus facilement des secours, la moitié de l’île d’Española qui lui restait s’était également affranchie de son pouvoir, d’abord sous drapeau colombien, puis en alliance avec Haïti. L’Espagne garda, pour près d’un siècle encore, l’île de Cuba, « la perle des Antilles » et Puerto Rico avec un cortège d’îlots faiblement habités. De tout ce Nouveau Monde que lui avait donné Colomb, elle n’avait su conserver que ses plantations de sucre et de tabac avec leurs campements d’esclaves.