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la lutte des classes au moyen age

ambitions des hommes, alimentées par l’envie et la rancune, produits de l’inégalité sociale, faisaient constamment renaître l’aristocratie, même quand elle paraissait vaincue. Comme les républiques italiennes, les villes flamandes eurent à subir alternativement la domination du « peuple maigre » et celle du « peuple gras ». Les gens des lignages ou geslachten, les patriciens, appelés aussi les « hommes héritables », cherchaient à tout accaparer, le sol, les capitaux, les fonctions et les titres. Même quand les gens du peuple n’osaient pas se révolter directement contre eux, du moins s’enhardissaient-ils à refuser le travail, les grèves ou takehans se succédaient nombreuses, et l’on vit même, au commencement du treizième siècle, les villes manufacturières se grouper en une sorte de hanse pour défendre les intérêts des patrons contre les ouvriers turbulents ou suspects. Dans le sein des communes couvait la « lutte des classes », comme de nos jours dans toutes les nations industrielles. La guilde marchande ou manufacturière était une dure maîtresse à l’égard des artisans et prenait bien soin d’interdire aux pauvres cette émancipation qui, pour elle-même, lui avait paru si légitime. Les ouvriers étaient étroitement surveillés par des espions spéciaux, désignés en Flandre sous le nom d’eswardeurs (regardeurs). Les agents de la guilde avaient le droit d’entrer à toute heure dans tous les ateliers, « car l’inviolabilité du domicile, proclamée par les chartes urbaines, n’existait pas pour l’atelier ». On encourageait la délation en attribuant une partie de l’amende au dénonciateur, et, pour que la surveillance fût plus facile à exercer, on obligeait l’ouvrier à travailler en vue des passants, à sa fenêtre ou devant sa porte[1]. Aussi, chaque dissension civile trouvait-elle aussitôt des bandes armées chez les ouvriers mécontents. Les combats ensanglantaient souvent les rues de Bruges, de Gand, d’Ypres, de Douai ; tout prétexte, toute occasion renouvelaient le conflit.

Les communes du moyen âge, quelle que fût leur supériorité sur le régime féodal, contenaient donc en elles-mêmes le germe de leur propre mort. Elles eussent pu durer longtemps, ou du moins évoluer d’une manière normale, si elles avaient présenté une parfaite unité de sentiments et de vouloir contre l’ennemi extérieur, mais elles étaient forcément divisées par la lutte des classes. Il est vrai que les adversaires du dehors étaient également divisés, mais combien nombreux ! Les com-

  1. H. Pirenne, Histoire de la Belgique, t. 1. pp. 255, 256.