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l’homme et la terre. — les communes

et de Gand se trouvaient au point d’arrivée du grand commerce germanique, elles étaient aussi les lieux d’escale naturelle entre le midi et le nord de l’Europe. Bruges n’avait pas un caractère moins cosmopolite que Venise : c’est par elle que le droit maritime, né sur le bord de la Méditerranée, se fit connaître aux navigateurs de la mer du Nord ; ils le désignaient sous le nom de Zeerecht van Damme, d’après l’avant-port de Bruges, qui s’ouvrait jadis à l’extrémité de l’estuaire du Zwyn : c’est ainsi que, sur les côtes océaniques de France, les pratiques maritimes avaient été codifiées pour Français, Anglais et Rochellois sous le vocable de « coutume d’Oléron ». Précisément à cause de l’universalité de son commerce, Bruges devait se tenir en dehors de la confédération des villes libres de Germanie ; elle s’ouvrait trop largement aux transactions mondiales pour rétrécir son champ d’activité par des traités particuliers. Vers la fin du treizième siècle, un texte rédigé à l’usage des marchands énumère plus de trente contrées différentes, tant chrétiennes que musulmanes, « desqueux les marchandises viègnent à Bruges » ; nulle terre n’était comparable en trafic « encontre la terre de Flandre »[1]. Après la conquête de l’Artois par Philippe-Auguste, Bruges devint aussi la grande cité des banques aux dépens d’Arras : elle concentra dans ses comptoirs tous les éléments du commerce occidental.

En même temps que l’organisation communale se développait un mouvement de fédération entre artisans d’une même industrie et participants au même trafic. Sollicités par leurs intérêts solidaires, les marchands d’une cité s’associaient à des correspondants de cités voisines ou lointaines : un corps international naissait ainsi, indépendant des conditions de langues, de gouvernement et de coutumes. Dans chacune des villes alliées pour le commerce en général ou pour telle spécialité, la plupart des habitants n’ayant point d’intérêts communs continuaient de s’ignorer de marché à marché, tandis que de part et d’autre les bourgeois de la ligue fraternisaient par-dessus terre et mer. Cette vie nouvelle, qui pénétrait le corps de l’Europe et créait à son usage un organisme nouveau, annonçait un monde futur complètement distinct de celui qu’on avait expérimenté jusqu’alors, régi par le pape ou par l’empereur, par les moines ou par les barons.

Les premières origines de la Hanse, fort obscures d’ailleurs, remon-

  1. Wamkœnig-Gheldolf, Histoire de la Flandre, t. II, p. 516, cité par Pirenne.