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triomphe du nord sur le midi

dérision, c’est à l’époque même où l’on fondait cette grande école que la langue disparaissait : l’idiome délicieux des troubadours se répartissait en patois aux allures gauches et bégayantes[1]. Une des dernières œuvres toulousaines fut le beau poème de la « Croisade contre les Albigeois », composé par un inconnu en 1210 : « Quand blanchit l’aubépine… »

Cabinet des Estampes.Bibliothèque Nationale

vue ancienne de toulouse

La Catalogne et l’Aragon ne perdirent pas moins que la Provence et le Languedoc à l’abaissement du Midi français, qui fut la conséquence de la guerre des Albigeois. Jusqu’à maintenant, les historiens n’ont pas tenu compte de ce fait, pourtant si considérable, qu’au douzième siècle, avant la première invasion des Français du Nord, les Pyrénées n’étaient point tenues pour un obstacle aussi formidable qu’il l’est, même de nos jours, en plein siècle des chemins de fer. À cette époque, les relations étaient beaucoup plus fréquentes de l’un à l’autre versant des Pyrénées centrales qu’elles ne le sont devenues, sept cents années plus tard. On se visitait volontiers de Toulouse et de Carcassonne à Zaragoza et à Lérida ; des deux côtés la civilisation se développait parallèlement, sous les mêmes influences, et des alliances intimes se nouaient entre les populations des deux bassins de la Garonne et de l’Ebre, séparés par tant de forêts, de rochers et de pâturages. La langue était la même, sauf les quelques variantes des patois, les relations étaient constantes, les brèches des montagnes accessibles aux cavaliers et la mer de Cerdagne servaient de chemin commun aux visiteurs du Nord et du Sud. Lors de la terrible

  1. Louis Brand, Trois Siècles de l’Histoire du Languedoc, p. 76.