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hérésie, prétexte à pillage

c’est ainsi que, de nos jours, tous les conquérants européens de pays d’Afrique ou d’Asie donnent à leurs appétits et à leurs spéculations de belles raisons d’humanité, qui d’ailleurs ne trompent personne. Les aventuriers se présentèrent en foule, mais il leur fallait des mercenaires pour soldats et, sans force butin, comment les entraîner ? Car la foi était par elle-même bien insuffisante à stimuler leur zèle. Que des milliers et des milliers d’hérétiques « cathares », « patarins » ou « bons hommes », eussent sur la nature spirituelle du « Fils de Dieu » des opinions en désaccord avec celles des prélats, cela n’était pas suffisant pour soulever de fureur les masses profondes des populations de la Bourgogne ou de l’Ile-de-France : il leur fallait de plus substantielles raisons. Or le Midi était riche : ses industries en avaient fait un grand foyer d’appel pour les trésors du monde méditerranéen. En s’adressant aux gens de brigandage, aux pillards de toute espèce qu’avaient fait surgir les guerres féodales et les expéditions d’Orient, en donnant à leurs crimes passés et futurs l’absolution papale, accompagnée de la certitude du paradis, Simon de Montfort, Foulques, l’évêque troubadour, et le farouche Dominique purent réunir autour d’eux des bandes assez nombreuses pour s’attaquer aux puissantes communes du Midi. D’ailleurs, pillards et malandrins, appelés de toutes les contrées d’Europe, même du fond de l’Allemagne, n’avaient qu’à suivre en pays chrétien les traditions de ravage et de meurtre appliquées en pays musulman. L’entreprise devait porter également le nom de « croisade », bénéficier des mêmes prières et des mêmes encouragements que la marche à la délivrance du Saint-Sépulcre, fournir aux combattants une même part de terre et de butin. « Tout homme, fût-il certain de sa condamnation éternelle », obtiendrait son pardon par le seul fait de sa participation à la tuerie ; mais il pouvait aussi — chose sans doute plus précieuse à ses yeux — conquérir des sacs de monnaies sonnantes — de quoi s’acheter une seigneurie — à l’assaut de quelque riche cité de patarins, ou même d’une ville de bons catholiques, pourvu qu’on eût un prétexte de capture.

Que de fois clama-t-on, sous des formes peu variées, la fameuse parole du moine de Cîteaux, encourageant les soudards au massacre de Béziers : « Tuez, tuez, Dieu reconnaîtra les siens » ! On tua donc beaucoup, puis, après les batailles et les conquêtes, vinrent les opérations fructueuses du fisc et de l’Eglise : confiscations pour cause d’hérésie, impôts et amendes, marchandage des fiefs civils et ecclésiastiques. Dans