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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

mais imposée par une longue tradition dont l’origine date de l’époque où les anciens voyaient dans les Iles Fortunées les bornes de l’univers. Même, depuis le siècle précédent, la volonté royale avait fait de cette tradition une loi de l’État à laquelle tous devaient obéissance absolue. Richelieu avait donné des ordres formels : « Nous faisons inhibitions et deffenses à tous pilotes, hydrographes, compositeurs et graveurs de cartes ou globes géographiques d’innover et changer l’ancien établissement du méridien, ny constituer le premier d’ileux ailleurs qu’en la partie la plus occidentale des îles Canaries… et partant, voulons que désormais ils ayent à recognoistre et placer dans leurs dits globes et cartes le dit premier méridien en l’isle de Fer »[1]. Ce méridien, censé conforme à celui qu’avait désigné vaguement Ptolémée, offrait deux avantages, celui de continuer la tradition classique et de tracer une ligne de séparation entre l’Ancien Monde et le Nouveau ; en outre, il présentait pour les marins et savants français l’extrême commodité d’être en fait le méridien de Paris, augmenté ou diminué de vingt degrés, suivant les positions, occidentale ou orientale des lieux. L’Ile de Fer ne possédant aucun observatoire, c’est à Paris que se faisaient tous les calculs[2]. On sait maintenant que le 20e degré de longitude occidentale ne traverse point l’île de Fer, mais passe en pleine mer, à une vingtaine de kilomètres à l’est, du côté de l’île Gomera.

La grosse question de l’aplatissement de la Terre dans la direction des pôles exigeait le départ de deux expéditions, l’une vers les régions polaires, l’autre vers les terres équatoriales. Les voyageurs de Laponie, Maupertuis, Clairaut, le Suédois Camus et Lemonnier, commencèrent leurs travaux en 1736 à Tornéa, à l’extrémité du golfe de Botnie, et mesurèrent la contrée d’environ un degré dans la direction du nord. Le résultat fut celui qu’on attendait : le degré était plus long qu’en France.

D’autre part les physiciens et astronomes de l’expédition équatoriale avaient à constater le phénomène contraire pour la longueur du degré sur le renflement de la ceinture terrestre. Les savants français et espagnols, Bouquer, Godin, La Condamine, Ulloa, Iorge Juan, débarquaient à Guayaquil, dans la partie de l’Amérique méridionale connue aujourd’hui sous le nom d’Ecuador, et, gravissant le plateau que dominent parallèlement les deux chaînes du Chimborazo et du

  1. Déclaration royale du 1er juillet 1634.
  2. J. Gebelin, Essai de Géographie appliquée, Bull, de la Soc. de Géogr. Commerciale de Bordeaux, 3 févr. 1896.