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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

treize États primitifs. Un autre privilège attribuait aux possesseurs d’esclaves trois voix supplémentaires pour chaque lot de cinq hommes dont se composait sa chiourme de travailleurs.

Enfin, il parut convenable de déplacer le centre politique de l’Union. Au lieu de rester à Philadelphie dans la « ville de l’Amour Fraternel », qui se trouvait en territoire de colonisation libre, le congrès, où les planteurs virginiens dictaient les résolutions à prendre, décida qu’il serait bon d’émigrer au sud, en pays d’esclavage, sur une enclave prise au bord du Potomac, dans l’État du Maryland, et, pour ainsi dire, à portée de la longue-vue du général Washington, résidant à Mount Vernon en sa maison de campagne de la Virginie. On a souvent prétendu que la fondation de Washington avait pour but de soustraire la majesté de la nation aux sollicitations impures du commerce et aux influences démoralisantes de la foule, mais dans ce cas, elle courait aussi le danger d’échapper au contrôle de l’opinion publique pour être livrée à la toute-puissance occulte des coteries. Quoi qu’il en soit, la cité-capitale fut construite sur un très vaste plan dans l’espoir qu’elle deviendrait rapidement une nouvelle Memphis ou Rome, mais l’emplacement marécageux, l’air impur de la contrée retardèrent beaucoup l’afflux des immigrants, et, pendant près d’un siècle, Washington mérita d’être connue sous le nom de « Cité aux distances magnifiques » : les grands édifices de l’État s’élevaient au milieu des solitudes.

C’est également pour une bonne part au mouvement de réaction des États-Unis dans le sens de ce qu’on appelle ordinairement l’ « ordre », autrement dit la grande propriété terrienne, ou bien encore la prépondérance des éléments esclavagistes ramenant vers le sud le centre de la politique et de l’administration, qu’il faut attribuer ce fait que la révolution ne se propagea pas vers le nord au delà du Saint-Laurent. Tout d’abord, il paraissait naturel que l’indépendance des États-Unis entraînât aussi pour l’Angleterre la perte du Canada, dépendance géographique de l’immense territoire revendiqué par les colonies victorieuses du littoral. Les Américains avaient en effet jugé que cette conséquence était dans l’ordre naturel des choses et, dès 1776, les « Bostoniens » avaient tenté de surprendre Québec, mais ils avaient été repoussés, et d’ailleurs, eussent-ils été victorieux, la population canadienne, alors presque toute française par l’origine et la langue, les eût certainement mal accueillis, se souvenant des injures passées : ces prétendus libérateurs ne lui rappe-