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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

jusque vers les sources de la Vislule (1742). Ce fut le premier acte de ces deux guerres de Sept ans, 1741−17/18 et 1756−1763, qui se déroulèrent principalement autour de la malheureuse Silésie, piétinée, dévastée, et dans la Bohême, plus malheureuse encore à cause de sa valeur stratégique comme centre de l’Europe.

Pendant la première moitié de la lutte, Frédéric fut d’abord partiellement soutenu par la France, dont la politique traditionnelle était de combattre la puissance autrichienne ; mais cette alliance française était incessamment neutralisée par les intrigues de cour et de confessionnal qui donnaient à l’Autriche et à sa souveraine Marie-Thérèse l’appui des machinations secrètes, ourdies contre son propre pays par le cardinal Fleury, inspirateur officiel de ses agissements. Puis, lors de la deuxième guerre, l’influence des jésuites triompha ouvertement : la France conclut une alliance offensive avec la Russie et la Suède pour soutenir l’Autriche et la Saxe contre Frédéric II. Celui-ci eût donc été complètement entouré par un cercle d’ennemis s’il n’avait eu quelques petits princes allemands pour alliés, et, par delà le détroit, le concours de la flotte anglaise. Mais en ce danger imminent, il se révéla tacticien incomparable par l’art de diviser ses adversaires pour les surprendre et les battre isolément. Il se délivra d’abord de la France par la victoire de Rossbach (1757), journée d’ « immortel ridicule », où il dispersa devant lui plus de dames, de coiffeurs et de cuisiniers que de soldats, et qui lui valut non seulement l’admiration enthousiaste de ses propres troupes mais encore celle de ses ennemis, surtout de la France elle-même. Pourtant il lui eût été impossible de résister jusqu’au bout contre le déluge d’hommes qui, du sud, de l’est, du nord, inondait son royaume s’il n’avait pu reconstituer ses armées, terriblement amoindries, par la foule des aventuriers et déserteurs étrangers accourant vers lui de toutes parts, et si l’Angleterre ne l’avait soutenu de ses millions. Enfin, lorsqu’il semblait presque fatalement pris, comme entre deux mâchoires, entre les Autrichiens et les Russes, une mort de tsar, un changement de règne le sauvèrent soudain et lui permirent de se dresser vainqueur, désormais inattaquable.

Pour la première fois dans l’histoire du monde, les guerres de l’Europe avaient eu leur contre-coup direct dans les autres continents : les conflits s’étaient propagés sur une grande partie de la surface planétaire,