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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

Pendant près de deux siècles, la colonie huguenote de Berlin s’est maintenue, malgré les croisements, les changements et traductions de noms et la pénétration intime de l’ambiance germanique.

En l’an 1701, la Prusse constituait un État assez puissant déjà pour que le prince Frédéric Ier crût le moment venu de se déclarer roi. De ses mains, il ceignit la couronne, mais sa vie de faste, de dépenses irréfléchies, de caprices bizarres, montra combien la vanité l’emportait chez lui sur l’orgueil, car, en prenant le titre, il faisait des concessions humiliantes à l’empire. Il était en train de défaire ce royaume qu’il avait baptisé tel tout en l’affaiblissant, lorsque la mort le surprit. Frédéric Guillaume Ier était un tout autre homme, une vraie brute, fier de son ignorance, d’une étroitesse de vues telle qu’il devint la risée générale, mais si âpre dans sa volonté que tout cédait devant lui. Il était si économe que son premier coup fut de réduire au cinquième tous les appointements des gens de sa cour. Il était si correct sur la discipline qu’on ne lui arracha qu’à grand’peine la grâce de son fils, condamné à mort comme « déserteur ». Sa manie particulière était celle des revues et des parades militaires. Il avait divisé le royaume en districts correspondants aux régiments de son armée ; l’alignement, la symétrie, la régularité des corps de troupe était sa grande préoccupation, il tenait par-dessus tout à ses compagnies de beaux hommes recrutés par tous les moyens possibles, y compris l’achat et l’enlèvement en pays étrangers. Mais il aimait tant son armée qu’il se refusait à la détériorer par la guerre : c’est à son successeur Frédéric II que devait revenir l’emploi de cet outil formidable. La préparation de la guerre n’est point une raison de paix, comme le dit un proverbe menteur, au contraire, elle entraîne toujours la guerre. Si l’industrie de la Prusse fut longtemps, comme on l’a dit, l’art de la guerre, c’est au Prussien par excellence, à Frédéric Guillaume Ier qu’on doit en faire remonter la responsabilité. Frédéric II trouva les éléments de la guerre tout préparés, des hommes, des arsenaux, de l’argent, et il s’en servit aussitôt. Le zèle avec lequel son peuple le suivit dans l’œuvre de conquête s’explique en partie par la pauvreté naturelle des landes, des sables et des marais du Brandebourg et autres provinces qui constituaient le noyau de la Prusse proprement dite : la richesse des terres avoisinantes promettait un ample butin.

À peine sur le trône, Frédéric s’occupa d’arrondir ses domaines en