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l’homme et la terre. — le roi soleil

centre de gravité de son empire de manière à le mettre en communication constante avec les pays de l’Europe occidentale. Le delta marécageux de la Neva, quoique fort humide, difficile à consolider et à protéger contre les inondations fluviales et marines poussées par le vent d’Ouest, était d’ailleurs l’endroit le plus favorable qu’il fût possible de choisir comme entrepôt de commerce et lieu de résidence tourné vers l’Occident. Les Suédois, premiers possesseurs de cette partie du littoral, n’avaient pas manqué de l’utiliser pour le trafic et la guerre : ils y avaient bâti Landskrona, puis Nyskans. Pierre ne faisait que recommencer leur œuvre à son profit et en de telles conditions qu’il y plaçait comme enjeu tout le destin de son empire. Il ne se contenta point d’y bâtir une ville avec ses premiers aménagements en attendant que le développement naturel de la vie économique entraînât au progrès normal déterminé par l’accroissement régulier de la nation et de ses ressources ; mais il y concentra toutes les forces de l’empire, même avec violence, obligeant les seigneurs à se construire des résidences urbaines, recrutant les travailleurs en véritables armées pour augmenter d’autant la population, emplissant à la fois les casernes et les cimetières. Une forteresse insulaire, Kronstadt, protégeait la ville naissante du côté du large, mais le rôle de Saint-Pétersbourg était surtout agressif : devenue capitale de l’Empire, elle avait à déblayer devant elle les bords du golfe de Finlande et de la Baltique orientale ; elle avait à tracer au large à travers Pologne, Suède et provinces allemandes un vaste cercle de conquête.

C’est une curieuse série que celle des trois capitales qui se sont succédé dans l’immense plaine, sous l’influence de pressions et d’attractions changeantes. D’abord Kiyev, qui fut la plus grande des cités de la Slavie quand la ville de Constantinople exerçait pleinement sa force d’appel sur le monde de l’Europe orientale. Alors, le foyer de répartition des marchandises et des idées devait se trouver à portée du commerce de Bysance et en communication directe avec elle, sur l’affluent russe le plus abondant qui se déverse dans la mer Noire et vers l’endroit où se ramifient les grandes vallées tributaires ; en effet, le lieu précis où se trouve Kiyev, sur la rive droite du Dniepr, remplit admirablement ces conditions : nulle part n’existe une diramation des voies naturelles mieux tracée d’avance vers le bassin de la Vistule, vers les golfes de Riga et de Finlande, vers la haute ramure du bassin de la