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l’homme et la terre. — le roi soleil

Méditerranée et le bassin de la Loire, entre la France du midi et celle du nord, s’est beaucoup agrandie. La main de Louis XIV pèse encore sur les solitudes.

Tous les protestants qui purent échapper à la persécution acceptèrent l’asile offert avec un empressement à la fois généreux et intéressé par l’Angleterre, la Hollande et diverses villes ou principautés de l’Allemagne, ou bien ils réussirent à se glisser dans certaines villes de l’étranger, comme Genève, qui n’osaient les accueillir ouvertement, de crainte de susciter la colère du roi Soleil. On évalue diversement à quatre ou cinq cent mille le nombre des Français qui moururent dans les prisons et dans les combats ou qui furent obligés de s’exiler du royaume. C’était au moins le trentième de sa population dont la France se trouvait ainsi brusquement diminuée, et s’il eût été possible de mesurer cette perte par la valeur des individus, il est bien certain que l’amoindrissement industriel, intellectuel et moral représentait une proportion bien autrement forte, car les protestants étaient de beaucoup les plus instruits, les plus entreprenants des sujets, et la nécessité qui leur était faite de défendre leur foi contre le mauvais vouloir des maîtres les obligeait à plus de dignité et de tenue que celle du grand troupeau des fidèles catholiques.

Nombre de villes furent dépeuplées ; d’autres, perdant leur industrie, tombèrent dans l’abandon et la pauvreté : telles Saumur et Tours ; Rouen, que peuplaient 80 000 personnes, fut privée du quart de ses habitants. Les industries spéciales à la France furent comme déracinées et transplantées aux Pays-Bas, en Suisse, en Angleterre, dans les pays rhénans, au Brandebourg : elles permirent à ces contrées étrangères d’entrer en concurrence avec les sujets de Louis XIV, ou même de les écarter complètement du marché pour les produits manufacturés dont elles avaient acquis le monopole.

L’acte gouvernemental promettant asile et aide aux exilés est l’édit de Potsdam (1685), fameux dans l’histoire germanique. Quinze années après, en 1700, les colonies françaises de la Prusse se composaient de 14 484 personnes, sans compter les militaires qui étaient entrés au service. Environ deux cents de ces colonies se fondèrent dans l’ensemble de l’Allemagne, mais les plus faibles disparurent bientôt dans le milieu ambiant, surtout par l’effet de l’entrée graduelle des calvinistes dans l’église luthérienne : la conscience de la race qui résistait à la