Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
474
l’homme et la terre. — le roi soleil

des écrivains et des artistes, avait évidemment à se donner une forme politique correspondant à la nouveauté de la situation. En outre, le mouvement religieux venait très puissamment à son aide par l’énergie farouche des croyants qui se plongeaient dans la lecture de la Bible, dans la récitation des cantiques, dans l’extase de la prière, et se confiaient aveuglément aux promesses de victoire et de salut, telles qu’ils les interprétaient dans la violence de leur foi. La « chose commune » — le Commonwealth — était copiée sur l’état politique des douze tribus d’Israël à l’époque des juges et des prophètes, avant l’élection du roi Saül, et comportait à l’égard des ennemis de Dieu « toute l’impitoyable cruauté qu’avait ordonnée Yahveh à ses serviteurs, Josué et Gédéon ». Les « Cavaliers » ou catholiques irlandais étaient également des Amorrhéens maudits. Les soldats de Cromwell repoussaient devant eux les paysans celtiques : « Au Connaught » ! criaient-ils, et, le plus souvent, ce cri était remplacé par l’expression plus énergique : « To Hell » ! En enfer !

Mais la république fondée par ces rudes exterminateurs néo-juifs fut-elle vraiment une république ? Les mots changent de valeur suivant les âges et, si mal gouvernée qu’elle soit, la « chose publique » n’en reste pas moins celle qui doit intéresser tous les hommes participant à son entretien. À ce point de vue, chaque nation constitue réellement une république pour un nombre plus ou moins grand de ceux qui peuplent l’ensemble du territoire. Quant à la république idéale, dont tous les membres agissent en citoyens solidaires, comme part intégrante d’un même corps politique, le Commonwealth d’Angleterre ne chercha point à l’être : il s’établit franchement en État centralisé, disposant d’une force plus que royale pour la suppression de toute résistance. La période la plus libre du peuple anglais fut celle de la guerre qui précéda la déchéance temporaire de la royauté, car chacun pouvait alors prendre part dans un camp ou dans l’autre, pour défendre la cause dont ses opinions se rapprochaient le plus. Mais la victoire des Têtes-rondes était de celles qui font céder toute opposition, et celui qui leur commandait se trouvait être un véritable empereur, bien qu’il se contentât d’un titre plus modeste. Devant lui, le Parlement n’osa point formuler d’acte de « remontrance », et, quand cette assemblée vint à déplaire, il suffit d’une troupe de soldats pour la disperser. Cromwell était si bien devenu le souverain effectif que, vers la fin de son règne,