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l’homme et la terre. — les communes

fureur immortelle du Dante devait poursuivre jusque dans les cercles de l’Enfer. Mais toutes ces multiples guerres des républiques italiennes, déplaçant incessamment leur centre de gravité, n’étaient que des épisodes dans la lutte séculaire qui mettait aux prises le pape et l’empereur, l’Europe centrale et le Midi. Les rivalités de famille à famille, de commune à commune, se fondaient dans la grande rivalité entre « Guelfes » et « Gibelins ».

Ces noms fameux, qui devaient être répétés surtout dans la riche Italie, rendez-vous de tous les pillards allemands, avaient pris leur origine dans les États germaniques. « Guelfes », tout d’abord, furent les partisans de la famille Welf dont les immenses possessions, en un tenant ou par enclaves, s’étendaient de la Baltique à la Méditerranée, et dont le représentant, Henri le Superbe, duc de Bavière, avait compté, en 1138, devenir le successeur de Lothaire au trône de l’empire. « Gibelins » furent ceux qui suivirent la fortune de son rival, le Waiblinger ou seigneur de Waibling, duc de Souabe, Conrad de Hohenstaufen. Ces deux mots, nés ainsi d’une simple compétition de candidats à l’empire, finirent par prendre une signification générale : on vit dans les Guelfes autant d’ennemis de l’empereur et d’amis du pape, tandis que les Gibelins furent considérés comme les adversaires du pontife de Rome, les partisans de l’empire et de l’autorité laïque. Mais dans ce remous formidable de guerres civiles et générales entre prêtres, rois et communes, les engagements pris, les traités et les alliances n’avaient que la valeur d’un jour et la mêlée des partis se modifiait incessamment. Au début même du conflit entre Guelfes et Gibelins, ne vit-on pas le pape se faire le champion de ces derniers contre sa propre cause ? Et quant aux républiques italiennes, n’ayant d’autre souci que leur liberté propre, n’étaient-elles pas toujours aux aguets pour savoir de quel côté elles avaient le plus de chance de se défendre ou de s’agrandir ? « Les Italiens, dit un mémoire du moyen âge, les Italiens voulaient toujours deux maîtres, pour n’en avoir réellement aucun. » Politique ingénieuse sans doute, mais politique lâche qui s’accommodait de toutes les bassesses, de toutes les trahisons, et devait fatalement aboutir au double asservissement des citoyens, au pape aussi bien qu’à l’empereur.

Mais les cités eurent de grands jours. Même le plus fameux des Césars allemands, Frédéric Barberousse, celui qui, dans la légende, personnifie par excellence l’empire germanique et qui, dans la réalité, affirma le