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l’homme et la terre. — colonies

la prison, de la mort, les hérétiques, les blasphémateurs et les sorcières.

Dans les colonies du nord de l’Amérique, l’appropriation du sol se fit en des conditions tout autres que dans les territoires de conquête espagnole, entraînant ainsi des conséquences historiques très différentes. Les soldats des Cortez, des Pizarro et des Almagro s’étaient emparés du Nouveau Monde au nom de leur roi, devenu propriétaire direct et absolu de la terre conquise et de ses hommes, tandis que les immigrants du littoral américain, qui s’étend de la Floride à Terre Neuve et au Labrador méridional, se constituaient en groupes sous la direction et la responsabilité de concessionnaires. Anglaises, hollandaises ou françaises, ces colonies n’étaient pas le fait d’expéditions militaires, mais le résultat d’entreprises relativement pacifiques, amenant la fondation de petites sociétés analogues à celle de la mère-patrie, Angleterre, Hollande ou France.

Les immigrants qui venaient de franchir la mer agissaient absolument comme ils eussent agi s’ils n’avaient eu qu’à traverser un ruisseau pour aller s’établir dans une lande voisine. Les personnages qui avaient obtenu de leur gouvernement le droit d’acquérir un fief en pays d’outremer amenaient avec eux leurs vassaux, et le domaine occupé subissait tout d’abord un régime analogue à celui des fiefs de la mère-patrie. Au fond, on retrouve partout le même système : un seigneur personnel ou impersonnel recevant de la couronne l’investiture seigneuriale sur une région déterminée, à charge par lui d’en opérer le peuplement avec des hommes choisis. D’eux-mêmes, les colons n’avaient pas eu l’idée de s’expatrier, mais à la suite du cadet de famille ou de l’aventurier qui les conduisait et leur faisait espérer un bel établissement, ils se hasardaient à partir pour le Nouveau Monde, où une métairie de vastes dimensions les attendait : peut être même, si le sort les favorisait, deviendraient-ils, à leur tour, possesseurs de fiefs et seigneuries.

De toutes les colonies nord-américaines, celles qui gardèrent le mieux et le plus longtemps leur caractère féodal furent celles de l’Acadie et du Canada. C’est que les seigneurs canadiens accompagnaient leurs clients, vivaient de la même vie, arrivaient à constituer avec eux une sorte de clan, rappelant, mais en des conditions bien préférables grâce au bien-être, l’ancienne existence au pays natal. Cet état de choses se maintenait si fortement, grâce à la routine héréditaire, qu’il ne fut pas grandement modifié par la conquête anglaise vers la fin du dix-huitième siècle, et qu’il en reste même de nos jours de remarquables survivances.