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l’homme et la terre. — colonies

inventer le jardinage sur cette terre fertile qui ne demandait qu’à produire.

A la pauvreté et à l’incurie des concessionnaires, à l’ignorance des colons, s’ajouta bientôt une autre cause de lenteur dans l’appropriation du sol : ce fut l’intolérance religieuse. Les immigrants qui se seraient présentés en plus grand nombre, si le gouvernement colonial avait autorisé le peuplement spontané, auraient été les protestants, puisque la plupart d’entre eux étaient persécutés dans la mère-patrie et que, d’ailleurs, le changement de foi, la rupture des liens traditionnels, les dures nécessités d’une existence nouvelle les douaient d’une certaine initiative. En effet, dans les premiers temps, des huguenots, venus surtout de la Saintonge, débarquèrent au Canada. D’abord protégés par l’esprit de tolérance qui avait dicté l’édit de Nantes, ils furent bientôt obligés de quitter la colonie : la pratique d’orthodoxie intransigeante finit par se préciser et l’unité de foi prévalut, au grand profit matériel du clergé, devenu souverain.

Les vrais rois du Canada, desquels dépendaient les gouverneurs aussi bien que les colons, étaient les missionnaires jésuites : toutes les hautes situations leur étaient acquises et les terres les plus riches leur appartenaient, en même temps que, par la dime, une part considérable de la propriété des fidèles. A côté de cette aristocratie de la compagnie de Jésus, les franciscains, les frères récollets aux pieds nus étaient tenus pour une sorte de plèbe religieuse, bonne tout au plus à convertir les indigènes, avec lesquels elle s’associait volontiers. Maître de la terre, les jésuites eussent voulu également posséder le monopole du commerce et voyaient de très mauvais œil les aventuriers qui s’enrichissaient par le commerce des fourrures. Les ordonnances formelles, sollicitées par eux, défendaient aux « coureurs », sous peine de galères, d’aller chasser à plus d’une lieue de distance. Il en résulta que ces « chercheurs de pistes », obligés de fuir la société policée, allaient vivre chez les Indiens, qui les accueillaient en frères, et que leurs familles, composées de « bois-brùlés », c’est-à-dire de métis, se résorbaient peu à peu dans la population aborigène. L’alliance du sang entre les colons français et les tribus de Peaux Rouges, alliance qui eut donné une solide assise a la race nouvelle et lui eut peut être permis de résister plus tard à l’attaque des colons anglais du littoral, fut réprouvée par les directeurs spirituels du Canada comme une pratique immorale, et l’on préféra s’adresser aux