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l’homme et la terre. — colonies

taire et l’élément religieux, rappelle en petit ce qui se fît en grand, et avec des résultats analogues, dans l’Amérique du Sud, sur les bords du Paraná et du Paraguay.

De même que l’Amérique Centrale, la Nouvelle Grenade, à l’angle nord occidental du continent du sud, manque de larges plateaux à climats uniformes où pût se développer une grande nation répandant au loin le prestige d’une haute culture intellectuelle. La région, divisée par ses chaînes de montagnes élevées en plusieurs aires géographiques distinctes se reliant difficilement entre elles, devait être scindée politiquement entre les populations différentes ne se connaissant guère que par de lointains échos. Cependant les Espagnols auxquels la soif de l’or fit accomplir le prodige de la conquête trouvèrent presque partout des populations habiles aux métiers et aux arts ; toutes avaient leurs potiers et leurs tisserands, leurs teinturiers et leurs maçons, leurs peintres, architectes et médecins. De belles routes dallées, dont on voit les restes avec étonnement, escaladent les montagnes les plus âpres, là où les rares habitants, épars en quelques vallées aujourd’hui, n’ont plus besoin que d’étroits sentiers frayés à travers la forêt.

Les Colombiens de nos jours ont pour principaux ancêtres, non les quelques émigrants espagnols arrivés pendant les trois derniers siècles mais les Indiens aborigènes, représentés surtout dans la préhistoire de la contrée par les Muysca, appelés également Chibcha d’après la langue chuintant qui se parlait encore au dix-huitième siècle, et dont les linguistes modernes ont recueilli la grammaire et le lexique. Comme dans les autres pays de conquête, les exterminations furent atroces ; mais, si affreux qu’ait été dans ses épisodes le changement de régime, on peut se demander si la civilisation dégénérée à laquelle mit fin l’invasion étrangère n’était pas plus déplorable encore, car la société muysca en était arrivée à une complète annihilation morale par la prostration absolue des sujets devant les prêtres et les rois : le peuple ne savait plus que trembler et obéir ; il s’était comme figé dans son antique civilisation, et tout développement nouveau lui était devenu impossible. Son activité, en dehors des travaux domestiques, se bornait presque uniquement à tailler des idoles monstrueuses et à fabriquer en or et en pierres dures des figurines humaines et des objets symboliques, recueillis par milliers dans les musées et les collections particulières. Du moins la fin des nom-