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gouvernement de venise

méme, lorsque le gouvernement jugeait opportun de confier au commerce la direction d’une flottille, il prenait soin de choisir les capitaines et de régler le service du bord de la façon la plus minutieuse : l’œil de la police suivait les navigateurs jusque dans les ports des Flandres. Enfin, comme toutes les communautés de marchands, comme l’ancienne Carthage, Venise était d’une jalousie féroce pour le monopole des industries qui faisaient sa richesse. L’ouvrier émigré qui travaillait de son métier au profit d’un autre peuple était d’abord invité à revenir ; s’il refusait, le poignard en avait raison[1] ; ainsi le décrétait une des lois secrètes déposées dans la cassette de fer. Quant aux affaires d’argent, les Vénitiens les prenaient fort au sérieux, si bien qu’en 1369, ils gardèrent en gage la personne d’un empereur de Bysance, Jean V : celui-ci ne recouvra la liberté qu’après avoir reçu de son fils le montant de sa dette, extorquée aux habitants de Salonique[2]. C’est par un grand instinct de vérité que Shakespeare choisit la république de Venise pour y dramatiser ce fait terrible que l’intérêt et le capital, à défaut d’argent comptant, se paient par la chair et le sang du débiteur. Ce n’est point là une pure fiction ; la coutume féroce fut certainement en vigueur, puisqu’une trace en apparaissait encore au commencement du dix-neuvième siècle dans une loi de Norvège « permettant au créancier d’amener son débiteur devant le tribunal et de lui couper ce qui lui plairait sur son corps en haut ou en bas ».[3]

Venise ne perdit son rang que lorsque les voies de l’Océan se furent ouvertes devant les Diaz et les Colomb ; aujourd’hui, dans son voisinage, c’est un port en eau profonde, Trieste, qui joue le rôle autrefois assigné à la cité du Lido, en attendant que celle-ci, qui n’entend point abdiquer, se soit conformée aux nécessités de la navigation moderne.

Les autres grandes républiques maritimes d’Italie, Amalfi, Pise, Gènes, durent également à leur position géographique heureuse l’importance de leur trafic, et, par une conséquence naturelle, leur puissance politique. Mais Pise succomba vite ; la nature s’allia contre elle, puisque les alluvions de l’Arno et du Serchio comblaient graduellement le port ; à la fin du quatorzième siècle, les Pisans fortifièrent le village de Livorno, où leurs navires pouvaient trouver un abri, mais il agirent sans l’audace néces-

  1. Daru, Histoire de Venise.
  2. Milenko R. Vesnitch, Le Droit international dans les Rapports des Slaves méridionaux au moyen âge, p. 39.
  3. Guillaume de Greef, Essai sur la Monnaie, le Crédit et les Banques, p. 50.