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l’homme et la terre. — les communes

changèrent que lorsque les Génois, jaloux, eurent remplacé Venise dans la faveur des maîtres de Bysance, après la chute de l’Empire Latin, au milieu du treizième siècle.

Pendant les siècles de sa domination commerciale, Venise, qui posséda jusqu’à 3 500 navires montés par 36 000 marins, fut de beaucoup le centre le plus considérable de la circulation internationale des hommes et des choses. Après Gênes et les républiques ou communes privilégiées de l’Italie méridionale, elle n’avait d’autres concurrents que les cités commerciales des Flandres et de l’Allemagne; encore les bâtiments de ces villes ne servaient-ils que pour le cabotage des marchandises entre les divers ports affiliés à la hanse. Blottie au fond de l’Adriatique comme une araignée dans un coin de sa toile[1] elle avait tendu son fil dans toutes les contrées du monde connu pour attirer à elle et pour répartir les produits de valeur, auxquels elle avait su ajouter les objets de sa propre industrie, surtout les velours, les draps d’or et brocarts. Venise faisait argent de tout : c’est par ses soins qu’étaient vendues aux naïfs croyants occidentaux tant d’ « authentiques » reliques, provenant des tombeaux d’Orient[2].

Mais si l’aristocratie des marchands insulaires se sentait flattée de ses relations avec le fameux empereur d’Orient, elle était d’autant plus raide envers les gens du menu peuple et les habitants des cités italiennes de la terre ferme. Jamais gouvernement ne fut plus dur et plus impitoyable, plus « fermé » ; tel était l’accès des lagunes, tel était le cœur de son gouvernement. À moins d’une faveur spéciale, justifiée par de grands services rendus, nul étranger ne pouvait être domicilié à Venise qu’à la condition d’épouser une Vénitienne, et l’espion l’accompagnait partout. Le commerce était un monopole des seigneurs et les bourgeois ne pouvaient trafiquer qu’à des conditions très onéreuses. La plupart des marchandises que portaient des navires étrangers étaient ou prohibées ou confisquées, et, quand on consentait à en tolérer l’entrée, les importateurs devaient payer un droit égal à la moitié de la valeur. Les villes du continent soumises à la République ne pouvaient expédier leurs produits qu’en les faisant passer par la métropole, qui percevait de très forts droits de transit. Dans les colonies telles que la Crète, toutes les fonctions étaient confiées à des Vénitiens notables ; de

  1. Guillaume de Greef, Essai sur la Monnaie, le Crédit et les Banques, Ann. de l’Inst. des Sc. Soc., 1900.
  2. Fr. Cosentini, Grandeur et Décadence de Venise.