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l’homme et la terre. — colonies

tion de cette campagne marocaine dans laquelle périt Sebastiâo, et qui devait avoir pour conséquence l’annexion du Portugal aux domaines illimités de Philippe II, autre despote aussi mal conseillé et aussi imprudent que n’importe lequel de ses devanciers.

Ce qui restait encore d’esprit d’aventure et de découverte dans les deux nations assujetties fut aussi mal dirigé que les entreprises de guerre. Qu’on en prenne pour exemple l’histoire du malheureux pilote Pedro Fernandez de Quiros : il lui fallut dix années de requêtes et d’efforts pour obtenir le prêt de deux navires péruviens. La terre où il eut la chance d’aborder était une des plus grandes de l’archipel des Nouvelles Hébrides, mais elle ne méritait point le nom d’Australie — Austrialia del Espiritu Santo, — qu’il lui donna, soit en l’honneur de l’Autriche, soit dans la croyance qu’il foulait le grand continent austral dont l’existence était soupçonnée mais que gardaient des lignes de récifs. Quoi qu’il en soit, il prit possession de cette terre « jusqu’au pôle… au nom de l’Église, du pape et du roi… pour une aussi longue durée que celle du droit ». Puis il désigna l’emplacement de la « Nouvelle Jérusalem » au bord d’un fleuve, le « Jourdain », et prit part à une procession solennelle des prêtres et de l’équipage (1606).

Avant la fin de sa vie, Philippe II eut le temps de porter le premier coup à son empire colonial. En sa passion du monopole absolu, il tenta cette chose impossible d’empêcher le commerce de détail auquel se livraient les marchands hollandais et fit saisir en une seule fois cinquante navires des Pays Bas ancrés dans le port de Lisbonne (1594). Les hommes audacieux et intelligents qui dirigeaient alors la république des Provinces Unies comprirent que, s’ils ne pouvaient obtenir les épices de seconde main, il valait la peine d’aller les chercher au lieu même de production, en se substituant par la force aux traitants du Portugal. La tentative réussit promptement ; un libraire d’Amsterdam s’était procuré des cartes portugaises dès 1592 et, dix ans plus tard, dans les premières années du dix-septième siècle, les escadres hollandaises chassaient les marins portugais de l’archipel des Moluques, trafiquaient directement avec la Chine, le Japon, et dictaient de nouveaux traités de commerce à la plupart des populations riveraines de la mer des Indes. Les Portugais, représentés alors par l’Espagne, ne gardèrent de leur empire d’Asie qu’une moitié de l’île Timor dans l’Insulinde, et Goa avec quelques enclaves dans la péninsule gangétique. Néanmoins les