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l’homme et la terre. — colonies

lui. Nulle part mieux qu’en Espagne, on ne peut juger des conséquences d’un régime où l’homme est remplacé par le surhomme.

L’union politique s’était faite sous le règne de Philippe II entre les deux parties de la péninsule Ibérique, Espagne et Portugal, au moment même où leur domaine de conquêtes coloniales s’étendait sur de si vastes espaces inconnus qu’on pouvait les dire illimités. En cet immense empire, espagnol d’un côté, portugais de l’autre, les régions de l’Afrique et de l’Asie eurent une histoire beaucoup moins remplie d’événements que celle du Nouveau Monde américain. En réalité, les quelques milliers de Portugais, marchands, marins, soldats et missionnaires, qui s’étaient égrenés le long des côtes et dans les îles, de la Guinée jusqu’aux Moluques, représentaient, au milieu de centaines de millions de nègres, d’Hindous et de Malais, un élément ethnique trop peu considérable pour que son action pût avoir une grande importance matérielle : l’influence, surtout économique et morale, s’exerça indirectement par le déplacement des voies commerciales, la formation de nouveaux marchés, le changement des procédés commerciaux et des clientèles, et aussi, en une faible mesure, par le contact direct des races. En dépit de leur férocité envers les indigènes, les Portugais étaient d’un naturel assez liant et sociable ; çà et là, notamment à Ceylan, ils restèrent populaires et quelques bribes de leur langue persistèrent : les noms portugais sont encore très répandus, tandis que les Hollandais qui vinrent plus tard sont totalement oubliés[1].

Si minime que fût leur nombre parmi les vastes multitudes, les Portugais devaient à leurs navires, à leurs canons, à leur tactique militaire et à l’art des fortifications une si grande supériorité brutale qu’il leur fut facile d’en abuser. Non seulement ils cherchèrent à s’assurer le monopole commercial de toutes les précieuses denrées de l’Orient — à cet égard ils agissaient comme eussent agi à leur place toute autre classe de trafiquants avides et firent le vide autour d’eux comme l’avaient fait à une époque antérieure les Vénitiens, les Égyptiens, les Arabes et comme le firent plus tard les Hollandais, mais ils exercèrent aussi leur intolérance dans les matières religieuses : les marchands étaient accompagnés de missionnaires, et ceux-ci

  1. Em. Tonnent, Ceylon, I, p. 418.