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l’homme et la terre. — les communes

session de la mer elle-même. Tout l’espace maritime limité au sud par la plage de Ravenne, du côté italien, et, du côté dalmate, par le Quarnero, était tenu pour mer fermée, pour domaine purement vénitien, et ses fiscaux prélevaient un impôt considérable sur toutes les embarcations qui flottaient sur cette partie du golfe. De même Gènes considérait la haute mer comme le champ de ses navires et, lors de sa plus grande puissance, prétendait ne laisser aux villes voisines que la navigation de cabotage ; elle alla jusqu’à déterminer la distance à laquelle les marins de la Provence et du Languedoc auraient le droit de s’avancer dans la Méditerranée[1].

C’est cependant un fait remarquable que Venise aux âges de sa majesté tenait fort peu à faire de grandes complètes territoriales : elle limitait systématiquement ses possessions sur le continent d’Europe ou d’Asie, se bornant à l’annexion d’îles, d’îlots, de forts péninsulaires qu’il lui était facile de défendre au moyen de ses flottes, omniprésentes dans la Méditerranée orientale ; elle évitait volontiers tout contact hostile avec des puissances qu’il eût fallu combattre sur terre, et, dans le cas où ses intérêts l’exigeaient, savait susciter des champions qui se battaient pour elle. Fille de la mer, puis sa dominatrice, Venise confondait son histoire avec celle des lagunes et du golfe qui l’entouraient. Les insulaires, d’abord pécheurs et sauniers, puis commerçants pour l’expédition de leurs produits, constructeurs de navires, grâce à l’excellence et à la quantité des bois qu’ils trouvaient sur la côte de Dalmatie, avaient graduellement conquis l’hégémonie des échanges dans les escales d’Orient, et, par leurs relations avec des gens de toutes races et de toutes religions, étaient devenus « le grands connaisseurs d’hommes : c’est l’école de la mer » qui fit l’éducation de leurs diplomates si merveilleusement avisés[2].

Venise, étant la république italienne dont les marins dominaient l’Adriatique et l’entrée de la mer Ionienne, se trouvait par cela même la mieux située pour servir « l’entrepôt aux marchandises de l’Orient, soit qu’elles eussent été convoyées par les Arabes ou que des Grecs les eussent apportées par terre ou par mer à Constantinople. Aussi Venise se laissa facilement aller à l’indifférence religieuse : venant de musulmans ou de chrétiens, l’argent avait pour elle valeur égale. De même l’Eglise ortho-

  1. W. Heyd ; Ernest Nys, Un Chapitre de l’Histoire de la Mer.
  2. Friedrich Katzel, Das Meer als Quelle der Völkergrösse, pp. 58, 59.