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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

que l’on ne voulut recevoir en héritage du catholicisme païen sans les avoir soigneusement nettoyées de tous les objets d’art, tableaux, statues, bas-reliefs rappelant les prosternements et les adorations de la veille, pour que rien de beau ne détournât la pensée de la parole rigide tombée de la chaire. La Réforme fut un mouvement de réaction contre la Renaissance, mais un mouvement avorté puisqu’il n’osa qu’à demi. Si les farouches protestants, comme il en existe encore quelques-uns, vivaient toujours sous les regards de leur Dieu, rejetant de leur existence tout ce qui ne leur semblait pas l’expression directe de sa volonté, la grande masse des religionnaires dut composer avec le monde extérieur, accepter les faits accomplis sous la poussée irrésistible des conquêtes humaines, faites en dehors de la religion. La société protestante était vaincue d’avance comme le christianisme tout entier puisqu’il s’accommodait avec l’art et avec la science dans la vie civile, puisqu’il devait autoriser la représentation et l’étude de la forme humaine, même la dissection des organes intérieurs. Si les temples devinrent de simples cubes évidés, répugnants à voir parce qu’ils étaient aménagés sans goût ni confort, du moins des artistes libres, vivant en dehors de la communauté, poursuivaient en toute indépendance la recherche de la beauté en lui associant parfois l’étude profonde des caractères.

Quant aux jésuites, toujours amènes et prévenants pour rendre facile l’entrée de l’Église, et par là même celle du Paradis, ils se gardèrent bien de combattre l’art, même ils voulurent en faire. C’est-à-dire qu’avec leur système d’éducation, ils devaient nécessairement enlaidir, pervertir tout ce qu’ils touchaient : l’art dit « jésuite » révèle l’âme de ceux qui firent édifier ces églises à larges nefs, commodes, avec de bons confessionnaux, bien abritées, éclairées, mais sans que l’on sache d’où vient le jour, pleines d’échos sourds et discrets qui se confondent avec un murmure continu, élégamment ornées de volutes, de mascarons et de reliefs, cachant leurs statues bouffies dans un amas d’étoffes ballonnées d’auréoles, d’étoiles et de nuages, faisant briller de loin leurs riches autels tout dorés, festonnés, enguirlandés, dominés par un fronton fastueux que portent des colonnes torses. Surtout les piliers, remplaçant les fûts droits et superbes qui, de tout temps, portèrent franchement le poids des édifices, symbolisent le mouvement onduleux et souple de ces directeurs de conscience qui mènent au ciel par la même voie ample et douce que l’on croyait jadis mener en enfer.