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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

d’un milliard, parurent également au roi être de bonne prise » et lui servirent à récompenser les flatteurs et les bourreaux. Mais la foule de la nation résistant çà et là quelque peu, le roi n’hésita point à brûler ou à pendre tous ceux, catholiques ou hérétiques, que le prestige de sa parole n’avait pas entraînés : les premiers devaient mourir parce qu’ils ne le reconnaissaient pas comme chef de l’Eglise, les autres parce qu’ils étaient des blasphémateurs, des adorateurs du diable. Grand moraliste, Henri VIII comptait beaucoup sur l’exemple pour la répression des actions et opinions qu’il estimait mauvaises : pendant son règne, il ne pendit pas moins de 72 000 sujets. La lecture de la Bible continua d’être défendue aux personnes du commun : encore neuf années après la répudiation du pouvoir papal, un édit du roi déclarait que : « Les gens de basses classes ayant tellement abusé du privilège de lire les Ecritures en particulier, il leur était désormais interdit de le faire sans une licence spéciale »[1].

Le contraste fut grand entre les deux formes que la révolution religieuse prit en Angleterre et en Écosse. Dans le royaume du sud, elle avait été voulue, dirigée, contenue par la royauté et, sous ses ordres, par la noblesse et les prélats faciles, mais sans qu’il y eut solution absolue de continuité, puisque les anciens temples avaient été conservés sans changements pour le nouvel ordre de choses et que le cérémonial, les livres, les chants n’avaient été que légèrement modifiés. En Écosse, la crise se produisit sous le coup d’une poussée plus naturelle, provenant de la volonté même d’une grande partie de la population relativement instruite, qui comprenait la bourgeoisie, les cadets des familles nobles, le petit clergé et jusqu’à des moines, les augustins et les dominicains[2]. Toutefois, le mouvement de conversion fut beaucoup plus tardif que dans le reste de l’Europe occidentale, par le simple effet matériel de la distance, l’Écosse se trouvant à l’extrémité du monde civilisé, sur les rivages inhospitaliers de mers alors rarement explorées.

Mais si la réforme écossaise fut plus lente à se faire que celle de l’Europe centrale, elle en eut d’autant plus de sérieux et de rigidité. John Knox, qui fut l’apôtre le plus zélé de cette évolution religieuse, connaissait la misère sous toutes ses formes, avant même ramé pendant deux années dans les galères françaises ; à Genève, sous les yeux du maître, il

  1. Richard Heath, The Captive City of God. p. 89.
  2. Andrew Lang, History of Scotland from the Roman Occupation.