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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

carte de l’Europe telle qu’elle a été faite à l’époque de la Réforme et qu’elle subsiste presque identiquement de nos jours : qui donc a tracé ces frontières, si ce n’est le glaive, et qui les a marquées si ce n’est le sang ? L’histoire en rend témoignage : partout où le pouvoir politique a pris résolument parti pour l’une des deux doctrines qui se disputaient les âmes, les âmes ont appartenu à cette doctrine, catholique ou protestante, c’est-à-dire à la force[1].

C’est ainsi, par l’épée des maîtres et par le sang des victimes, que s’établit cette antinomie de l’Allemagne du Nord et de l’Allemagne du Sud, opposition qui prit une si grande importance dans les deux siècles suivants et qui continua d’exister, quoique sous une forme moins aiguë : une frontière religieuse nettement tracée marquait la séparation des territoires respectifs. Dans le Nord et le Nord-Est, les maîtres du sol et, du même coup, tous les habitants qui leur obéissaient s’étaient ralliés au protestantisme sous la forme luthérienne ; le landgrave de Hesse-Cassel, l’électeur de Saxe, le duc de Mecklemburg et de Poméranie s’étaient empressés de séculariser tous les biens de l’Église romaine qu’ils trouvaient à leur convenance, et l’électeur de Brandeburg, grand maître de l’ordre Teutonique, avait profité de la crise pour se déclarer duc héréditaire de la Prusse, sous la suzeraineté de la Pologne. Celle-ci fut même sur le point de passer entièrement au protestantisme : on évaluait au sixième seulement de la population le nombre des habitants qui étaient restés fidèles à l’ancienne foi. Mais là aussi « le fer et le feu » accomplirent leur œuvre. Les catholiques, bien que restés en minorité, avaient gardé le glaive en main, et ils l’employèrent aussitôt pour frapper les plus dangereux de leurs ennemis, ceux qui, non satisfaits de la liberté dite de conscience, voulaient conquérir la liberté complète et sa garantie efficace, la possession du sol. L’émiettement du protestantisme en une multitude de sectes différentes et même ennemies facilita si bien le triomphe de Rome qu’en peu d’années la terreur avait rétabli l’unité de foi. La « réforme » du christianisme fut comme effacée de l’histoire, mais une révolution autrement importante qui se produisit à la même époque et qui sortit tout armée du cerveau d’un Polonais devait pleinement triompher. C’était la révolution qu’opéra Copernic en renversant le vieux système ptoléméen des rotations astrales autour

  1. Hyacinthe Loyson, La grande Revue, 1er sept. 1900, p. p. 504, 505.