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anabaptistes, calvinistes

dans le langage courant le nom de son fondateur : le calvinisme, la religion de l’âpre Calvin. En Suisse, les idées nouvelles, revendiquant pour le simple lecteur de la Bible, clerc ou laïc, le droit de devenir son propre prêtre et de parler directement avec son Dieu, sans interprète humain, avaient été déjà proclamées par Zwingli, précédant Luther d’une année, dès 1316, et l’Église romaine dépossédée avait essayé vainement de ramener ses ouailles des hautes vallées dans le bercail orthodoxe. Comme dans l’Allemagne voisine, la controverse se compliquait de batailles, et l’équilibre des forces se déplaçait constamment sans que l’ancien régime pût se reconstituer.

Le mouvement irrépressible de la religion nouvelle eut surtout Calvin pour docteur, et pour seconde Bible l’Institution de la religion chrétienne, où les dogmes acceptés par les huguenots français étaient exposés en un style d’une clarté parfaite et d’une rigidité glaciale. Une première fois, les citoyens de Genève n’avaient pu supporter l’implacable régime de leur directeur spirituel, mais il revint en 1541 et, dès lors, la petite ville suisse, protégée à la fois par la nature, par les cantons alliés et par la jalousie mutuelle des puissances voisines, devint une sorte de capitale, la « Rome du protestantisme », d’où le redoutable Calvin, écrivant ses lettres, envoyant ses émissaires, entretenait l’ardeur de la foi dans toute l’Europe atteinte par la propagande de la Réforme, et spécialement dans les Flandres et en Écosse. D’ailleurs, la moitié calviniste de la religion protestante ne tolérait point la liberté de penser plus que ne le faisaient les luthériens : pour le réformateur de Genève comme pour celui de la Wartburg, tout hérétique c’est-à-dire tout homme pensant autrement que lui méritait la mort. Il montra en toute sérénité d’âme cette intolérance, lorsqu’il fit emprisonner et condamner au bûcher le savant physicien et géographe aragonais Michel Servet, qui avait en même temps le malheur d’être théologien et d’avoir émis sur la Trinité des opinions contraires à l’orthodoxie calviniste. Non seulement Calvin fit brûler Servet, mais ordonna aussi de jeter sur le bûcher les exemplaire de ses deux éditions de Claude Ptolémée[1].

Les tribunaux de Genève étaient donc une cour d’inquisition, mais, si rigoureuses que fussent leurs condamnations, elles firent pourtant

  1. Geographical Journal, 1902, p. 648.