Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
l’homme et la terre. — les communes

termes presque religieux des industriels et des marchands, conscients de leur œuvre, qui furent les augustes devanciers de l’ère dont le dix-neuvième siècle devait être l’époque de glorieuse floraison. Tout un appareil social nouveau se constituait au-dessous de l’organisation féodale, destiné à la remplacer un jour et à donner sa force spéciale à l’ensemble de la société politique. Inutiles à ce nouvel ordre de choses qui faisait surgir les grandes villes par l’appel des ouvriers et des artisans de toute espèce et donnait au commerce une expansion toujours croissante vers les pays lointains, les seigneurs ne pouvaient s’y accommoder. La « commune », « guilde », « corps de métier » ou corps de marchands était, par sa nature même, absolument autonome : elle achetait la matière première, la mettait seule en œuvre, en vendait seule les produits. Elle avait ses arbitres pour les différends qui pouvaient s’élever entre membres, et dès qu’elle se sentait assez puissante, organisait sa milice pour se défendre contre prêtre ou roi.

Ainsi se fondaient spontanément des associations suivant les diverses professions des individus et les conditions changeantes du milieu. À cette époque de force brutale, l’organisme administratif et policier n’avait pas encore assez de souplesse pour surveiller l’homme à chaque modification de son existence et l’isoler savamment du groupe naturel des compagnons de travail avec lesquels il risquait le combat de la vie. Chaque corps de métier avait ses guildes, ses « fréries », ses « confréries » ; même les mendiants, les femmes perdues s’unissaient en sociétés de défense. Des groupements temporaires se formaient également à bord des navires, tant les affinités naturelles cherchent à se satisfaire, jusque dans les milieux les moins favorables. Dès que la nef avait mis une demi-journée de navigation entre elle et le port, le capitaine rassemblait tout le personnel, matelots et passagers, et leur tenait ce langage que rapporte un contemporain[1] : « Puisque nous sommes à la merci de Dieu et des flots, chacun doit être l’égal de chacun. Nous sommes environnés de tempêtes, de hautes vagues, de pirates et de dangers, il nous faut donc garder l’ordre le plus parfait pour mener notre voyage à bonne fin. Commençons par faire une prière, demandons un vent favorable et la pleine réussite de nos projets, puis, selon la loi de la marine, nous nommerons ceux qui devront siéger sur les bancs des juges. » C’est donc au nom de

  1. Jean Janssen, Getchichte des deutschen Volkes.