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déplacement des richesses

avec efficacité à la redistribution des richesses. C’est là une des formes nécessaires de l’activité des révolutions, mais ce n’est point la seule, ainsi que des historiens téméraires l’ont prétendu.

Ceux qui se contentent de larges affirmations représentées par des phrases traditionnelles répètent volontiers que, lors de la grande scission de l’Église, le partage se fit suivant le contraste géographique du Nord et du Midi ; on ajoute même volontiers que cette division coïncida avec celle des peuples germaniques et des peuples « latins ». Cependant, l’observation des faits montre combien ces affirmations générales sont en désaccord avec la réalité. C’est ainsi qu’en plein Nord, ou du moins sur le versant septentrional de l’Europe, la Pologne, les pays rhénans, la Belgique, l’Irlande, les Highlands d’Écosse sont habités surtout par des catholiques, et que dans mainte contrée où les deux religions se disputent la suprématie, le climat et la race ne sont pour rien dans la différence des confessions. Il faut étudier à part dans chaque pays l’évolution des événements qui ont amené l’équilibre religieux pour apprécier et mesurer les causes diverses ayant déterminé le triomphe de la forme catholique ou de la forme protestante dans les religions nationales.

Tout d’abord, les populations des deux péninsules « latines » de l’Europe, celles précisément où des « renaissances » successives, avec leurs réformes correspondantes, avaient précédé la grande Renaissance et la grande Réforme, restèrent en dehors du mouvement séparatiste. Pour l’Espagne, la raison en est bien évidente : l’incomparable succès de l’autorité monarchique, à laquelle tout réussissait jusqu’à l’absurde, avait entraîné la nation dans la débâcle du recul en toutes choses. Non seulement le peuple espagnol ne pouvait plus, dans son ensemble, participer aux révoltes de l’intelligence, mais c’est à peine si quelques esprits libres gardaient la force de penser : les bûchers de l’Inquisition flambaient pour tous ceux dont les paroles n’étaient pas formule consacrée, et les actes répétition servile. Il semblerait que les rois d’Espagne eussent pu agir comme ceux de France et concentrer entre leurs seules mains le pouvoir absolu, mais de part et d’autre des Pyrénées, les conditions étaient différentes. Les Ferdinand et les Charles Quint n’avaient point derrière eux une longue tradition monarchique : à l’époque de la Réforme, ils arrivaient à peine à la possession indis-