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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

transformations qui s’opéraient alors, prélude des révolution » économiques accomplies dans le monde moderne, avaient amené l’enrichissement de la bourgeoisie, intermédiaire de l’industrie et du commerce, au détriment des barons et des cultivateurs de la terre.

Les économies du pauvre n’allaient plus à l’Eglise, qui s’évertuait vainement à remplir de nouveaux coffres-forts par la vente des indulgences. Des syndicats de marchands s’étaient constitués pour obtenir le monopole d’importation des objets précieux et s’en assurer tous les bénéfices. De puissants banquiers avaient accaparé les produits des mines du Tirol, de l’Espagne, du Nouveau Monde, ils avaient pris des royaumes en gage et, par le maniement des fonds, les spéculations de toute sorte, ils pouvaient à volonté faire la guerre ou la paix. Le luxe de tel grand personnage, que son argent avait placé parmi les magnats de l’Empire et des royaumes, représentait la valeur des produits de toute une province : un seul banquet où ruisselaient le vin et l’hydromel causait indirectement la mort de quelques milliers d’aborigènes dans Espanola, Cuba ou le continent d’Amérique.

Moins riches que ces banquiers, les princes et souverains eussent bien voulu imiter ces prodigalités fastueuses, dues à leur rang, mais le travail actif leur étant interdit, quels moyens pouvaient-ils employer pour ajouter une nouvelle source de richesses à celles qu’ils possédaient déjà ? De tout temps ils avaient taxé la matière imposable, prélevé des tributs, exigé des corvées, revendiqué la grosse part du parasitisme sur toute manifestation du travail humain, mais le moment n’était-il pas venu de confisquer, d’ « incamérer », de s’approprier les trésors de l’Eglise, comme ou avait fait tant de fois de ceux des Juifs, de poursuivre chez tous les prélats catholiques, dans tous les couvents, l’œuvre que naguère le roi de France, traînant derrière lui tout un monde tremblant et prêt à se dédire de magistrats et de prêtres, osa tenter contre le seul ordre des Templiers, déclaré d’avance hérétique pour que ses biens fussent de bonne prise ? La conversion à la forme nouvelle du christianisme offrait aux princes et à leurs amis et conseils de la bourgeoisie l’occasion unique de récompenser leur zèle soudain pour la vérité de l’Evangile par l’accaparement des économies séculaires accumulées dans les couvents et les églises. La Réforme, première grande victoire de cette classe bourgeoise qui devait aboutir, deux ou trois siècles plus tard, au triomphe de la Révolution française, allait aider également