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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

et moines ? Tout lecteur de la Bible était devenu son propre dispensateur de vérité, son pontife suprême, il avait pris dans sa main la clef divine qui ouvre les portes du Paradis. Ainsi que le dit Bossuet, « une Bible à la main, tout protestant fut pape ». Du moins, il en était ainsi chez les bourgeois et les nobles, car les morales des peuples inclinèrent toujours leur balance vers le pouvoir. En proportion même de l’instruction croissante qui changeait le centre de gravité dans la société bourgeoise, l’explosion de la Réforme était devenue irrésistible, il fallait que la vieille armature de l’Eglise se brisât et qu’il s’en forgeât une nouvelle.

La forme de la religion devait donc s’accommoder à la mentalité du monde bourgeois ; elle devait également se prêter aux méthodes scientifiques récentes, introduites par les humanistes, et ne plus négliger, comme elle l’avait fait jusqu’alors, les langues modernes, qui s’étaient émancipées du latin et devenaient à leur tour d’admirables interprètes de la pensée ; enfin la révolution opérée dans le monde de l’intelligence devait se produire parallèlement dans la conception, dans la pratique des lois et favoriser d’autant l’évolution religieuse. Le droit romain fut substitué à l’ancien droit germanique, malgré l’opposition acharnée de l’Eglise. Possédant le tiers du territoire et des biens meubles dans l’Europe occidentale, le clergé redoutait cette transformation, qui plaçait les propriétés ecclésiastiques sous le contrôle des légistes et préparait ainsi la Réforme avant qu’elle se fût effectuée au point de vue religieux, mais il ne put l’empêcher. Les monarques français, poursuivant l’œuvre de Philippe le Bel, avaient peu à peu restreint le pouvoir des papes et, finalement. François Ier se sentit assez fort pour réserver à l’autorité civile la nomination des évêques ; par le concordat de 1516, la « fille aînée de l’Eglise » imposait des conditions très dures à sa mère, mais celle-ci fut bien obligée de s’y soumettre.

De même le pouvoir de l’Eglise avait été frappé quand le duel judiciaire ou « jugement de Dieu » tomba en désuétude et fut remplacé par l’appel à la juridiction. Les hommes de loi, vainqueurs des prêtres, réussirent à supprimer la légalité du duel ; mais il est bien certain que, injustes eux-mêmes, ils ne réussirent point à inspirer plus de confiance dans leur jugement que dans celui du hasard, puisque, du moins chez les Français, la pratique des « affaires d’honneur » s’est maintenue sous sa forme la plus grotesque, survivance du plus lointain moyen âge. Le nouvel équilibre religieux de l’Europe, nécessité par les idées, les