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retour vers les saintes écritures

commençant par la Genèse, et, sous celle influence, finirent par devenir beaucoup plus juifs qu’ils n’étaient chrétiens. L’histoire mythique et légendaire, parfois atroce, des Beni-Israël leur devint beaucoup plus familière que l’histoire de leur propre nation, modifia leur langue et leur mode de penser, pénétra même jusqu’au fond de l’être par sa morale primitive. Tels livres inspirés par ces idées du protestantisme judaïsant sont absolument incompréhensibles aux non-initiés, de même que tels ou tels actes de fervents calvinistes prenant pour modèle Moïse, Josué ou le « saint roi David ». Des actes abominables, réprouvés par toute morale humaine, trouvaient une ample justification dans les exemples laissés par le « peuple élu » et, pourvu que l’ennemi fût traité de « Philistin » ou d’ « Amalécite », on avait sur lui droit d’extermination, de torture et même d’éternelle malédiction, de condamnation au feu qui ne s’éteint point. Ça et là on retrouve dans les annales contemporaines le récit de quelque affreux massacre familial, qui semble d’abord un acte de simple folie, mais n’en est pas moins sérieusement conforme à l’une ou l’autre scène du judaïsme antique et se précisa dans la volonté du criminel sous l’influence de lectures de la Bible sans cesse renouvelées : ce sont là les crimes rituels du protestantisme.

Ainsi la Réforme, étudiée exclusivement au point de vue de l’évolution religieuse, n’est autre chose qu’une tentative de « renaissance » ou de purification du catholicisme, ce que la Renaissance avait été elle-même dans l’étude et dans l’art. Les protestants furent des catholiques plus ardents que les papes et les prélats ; tandis que ceux-ci s’accommodaient volontiers des modifications apportées par le temps et se souciaient fort peu de ressembler à saint Paul et aux apôtres, les fanatiques réformateurs remontaient, dans leur âpre recherche du passé, aussi loin que le permettait leur érudition, par delà Jésus et ses disciples. Et d’ailleurs, comment pouvait-il en être autrement ? La génération qui précéda Luther possédait déjà l’ouvrage réputé divin dont une vingtaine de traductions furent faites avant la sienne — la première, éditée à Delft, date de 1477 —, et l’art de l’imprimerie qui l’eut bientôt placé entre les mains de tous les fidèles[1], par centaines d’éditions, par milliers et centaines de milliers d’exemplaires, n’avait-il pas, par cela même, créé des multitudes de rivaux aux prêcheurs officiels, prêtres

  1. Richard Heath, Anabaptism.