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l’homme et la terre. — la renaissance

simple guerroyer comme on en voit tant parmi ses ancêtres ; il se sentait également pénétré des vastes ambitions de son siècle, et, parfois aussi cruel que son rival Louis XI, avait, cependant, quelques traits de magnanimité. Poursuivi par le désir fou de se conquérir un royaume, qui ne lui aurait point suffi et qu’il eût voulu universel, il fit de ses dix années de règne dix années de guerres, et finit par périr misérablement devant les murs de Nancy (1477). Précédemment, deux sanglantes défaites subies en Suisse, à Granson et à Morat, l’avaient découronné de son prestige : les riverains du lac de Morat aimaient à se montrer flottant sur les eaux les grandes algues tachetées de rouge qu’ils appelaient « sang des Bourguignons ».

La maison de Bourgogne s’effondra au profit des États voisins, surtout à celui de la France. Lorsque Louis XI mourut, il avait étendu son royaume jusqu’aux Alpes et aux Pyrénées, et nombre de cités, qui ne lui avaient appartenu d’abord que par les liens d’un hommage indirect, se trouvaient définitivement soumises à ses lois ; les revenus de son domaine avaient plus que doublé et le poids des impôts payés par les bourgeois et les manants s’était singulièrement allégé. Quant à la Suisse, enorgueillie par ses victoires, elle devait se laisser entraîner par son triomphe même à la honte nationale par excellence, celle de vendre ses hommes au plus offrant comme des engins vivants de guerre. La location des mercenaires devint la principale industrie des confédérés : pendant quatre cents années, les Suisses, aujourd’hui si fiers de leur « libres montagnes », eurent pour fructueux métier celui d’aller à prix d’argent détruire la liberté des peuples d’alentour. La France surtout fut le marché de chair helvétique ; 12 cantons sur 13 étaient engagés à fournir au roi une levée permanente de six à seize mille hommes, mais les salaires stipulés ne suffisaient pas, il fallait aussi des cadeaux : souvent les Suisses attendus ne se présentaient pas.

Le successeur de Louis XI n’eut pas de peine à dépenser royalement les économies de son père. Comme Charles le Téméraire, mais sans aucune âpreté dans le vouloir, Charles VIII se laissa mener par sa fantaisie. Celle-ci lui montra les merveilles de l’Italie et il en fut aussitôt fasciné. En réalité, l’expédition de Charles au delà des Alpes ne fut pas une guerre, mais un roman d’aventure. Il ne savait lui-même où il allait, se dirigeant seulement vers le soleil du midi, vers la mer bleue, vers les pays splendides desquels était issue la vie. Il chevauchait devant lui