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l’homme et la terre. — la renaissance

les siècles qui précédèrent la découverte du caractère mobile, mais, au plus, la centième partie des livres du moyen âge a pu survivre[1]. Le nombre des auteurs devait être immense en un temps où l’écrivain était son propre éditeur, le poète son propre incitateur, le dramaturge son propre acteur, mais l’homme mort, l’œuvre disparaissait. L’imprimerie fut donc en certains cas un obstacle aux lettres en décourageant le penseur sans énergie, mais elle multiplia à l’infini le champ d’action des écrits qui passaient sous presse.

L’invention de l’imprimerie est un fait d’importance si capitale que nombre de pays et de villes en ont revendiqué la gloire. En admettant, ce qui d’ailleurs est probable, que la connaissance de cet art n’ait point été apportée de la Chine dans l’Occident européen par quelque Rubruk ou quelque Polo, et qu’on puisse en affirmer l’origine locale, il n’en est pas moins vrai que Mayence, Strasbourg, Bamberg, Avignon, Florence, Haarlem prétendent également à l’honneur d’être le lieu natal du grand art ; et, en pareille discussion, le verdict est d’autant plus difficile à rendre que les industriels gardaient alors très jalousement leurs secrets, et que l’imprimerie proprement dite prend ses origines en des industries antérieures très rapprochées, entr’autres la gravure sur bois des cartes à jouer, des images de saints avec invocations et prières. Quoi qu’il en soit, selon l’opinion générale des érudits, Mayence est bien la patrie de la noble invention et Gutenberg en fut l’auteur. Lorsqu’après la conquête de la ville par l’archevêque Adolphe de Nassau en 1462, le « merveilleux secret » de l’imprimerie fut divulgué de par le monde, Mayence possédait deux établissements d’impression, celui de Gutenberg, luttant péniblement contre la misère mais travaillant quand même, et celui du riche Johann Fust ou Faust, qui avait cru réduire son ancien associé à l’impuissance en le faisant condamner illégalement à rembourser deux prêts avec les intérêts et les intérêts des intérêts : comme toujours, aux origines et dans le développement de l’industrie, se retrouve l’âpre lutte du capital et du travail. Mais la découverte était entrée dans la période de réalisation. Le premier incunable, dont il n’existe plus qu’un très petit nombre d’exemplaires, est une vulgate en deux volumes in-folio, que Gutenberg mit trois années à imprimer, de 1452 à 1455. L’ouvrage se vendait trente florins ; manuscrit, il en coûtait quatre ou cinq cents[2].

  1. Remy de Gourmont, Le Chemin de Velours, p. 30.
  2. V. Duruy.