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l’homme et la terre. — la renaissance

autopsie tous les trois ou quatre ans ; à partir de 1538, on peut disséquer un cadavre chaque année ; en 1547, l’université fit l’acquisition d’un squelette, le seul qu’elle aura pendant 104 ans[1]. L’ardeur d’apprendre et d’enseigner fut telle qu’on vit des jeunes hommes devenir professeurs à l’âge où on ne les aurait pas encore trouvés de force à porter les armes, et, tandis que des adolescents enseignaient, des vieillards, abbés, chanoines, princes se pressaient sur les bancs pour écouter ; les femmes étaient entraînées également par le désir d’apprendre[2]. Les étudiants faisaient leur tour d’Allemagne et d’Europe comme les compagnons des divers métiers, et l’hospitalité qu’ils trouvaient en tous lieux était réglée de la même manière. Déjà professeurs, géographes, astronomes, naturalistes, savants de toute espèce allaient s’établir en de grandes villes lointaines, telles que Lisbonne, où les rencontraient marins et aventuriers en quête de découvertes. La confection des globes, imaginée par les Martin Behaim comme par les Toscanelli, hâta certainement l’ « invention » du Nouveau Monde.

C’est en cette Allemagne si bien préparée par l’étude et la diffusion du savoir, par l’apparition ou la restauration des industries les plus diverses que se révéla, vers le milieu du xve siècle, le procédé de l’imprimerie en caractères mobiles, point de départ d’une révolution intellectuelle et morale auprès de laquelle toutes les révolutions précédentes n’ont qu’une valeur secondaire : c’est même grâce à l’imprimerie qu’elles se montrent à nous dans leur véritable importance relative. Le grand xve siècle, l’initiateur de la civilisation moderne, doit son rang dans l’histoire aux deux découvertes capitales, de l’espace et du temps ; de l’espace, par l’exploration de la rondeur du globe en Afrique et dans les deux Indes, du temps, par la résurrection et la mise en lumière des chefs-d’œuvre de l’antiquité. Or, c’est l’imprimerie qui permit de faire cette conquête sur les âges écoulés, et si elle naquit, c’est précisément par suite du besoin qu’éprouvaient les humanistes de reproduire à l’infini les fragments manuscrits si peu nombreux qu’ils possédaient des œuvres originales de l’antiquité. Le désir de répandre ses propres idées, de s’adresser directement à ses contemporains comme littérateur, philosophe ou moraliste n’eut qu’une part fort minime dans la poussée d’efforts qui fit surgir l’industrie nouvelle, car tous les ouvrages imprimés dans les premières

  1. A. Froriep, Globus, 1903, p. 162.
  2. Richard Heath, Anabaptism, p. 4.