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l’homme et la terre. — les communes

d’un côté contre les Sarrasins, de l’autre contre les Francs de Charlemagne ; de nos jours, quoique rattachés politiquement, sur un versant à la France, sur l’autre versant à l’Espagne, la ligne de démarcation ethnique est encore parfaitement reconnaissable entre Euscariens et gens d’autre origine, Béarnais ou Castillans.

Et l’on constate avec admiration que cette résistance s’est faite sans effort apparent, sans atteinte aux mœurs pacifiques de la population. Tandis que sur tout le pourtour de la Méditerranée, les habitants du littoral avaient dû se réfugier dans les villes en laissant la campagne déserte et s’environner d’une ceinture de murailles et de tours pour résister aux armées régulières et aux bandes de malandrins et de pirates, les familles basques ont aimé de tout temps à vivre isolées dans quelque beau site de leur pays de collines et de monts, à l’ombre d’un grand chêne, arbre symbolisant la tribu et son antique liberté. Cette belle confiance en eux-mêmes, d’où venait-elle aux Basques, sinon de la nature qui les protégea toujours ? Et cependant la voie majeure, qui, de tout le reste de l’Europe, mène dans la péninsule ibérique, passe précisément à travers ce pays euskaldunac, et si les passages fréquents de peuples étrangers n’arrivèrent pas à détruire la nationalité basque, c’est qu’on avait intérêt à la ménager, à lui demander la conduite plutôt que de se tracer une voie sanglante. Grâce à ces privilèges conférés par le sol même, certaines communes ou « universités » basques, telles Roncal et Elizondo, ont pu se maintenir avec des institutions qui étonnent par le sentiment de l’égalité personnelle et la préoccupation du bien public. Même dans les avant monts et dans la plaine ouverte au nord, les villes béarnaises devaient au voisinage et à l’exemple des Basques de pratiquer des libertés inconnues à toutes les autres communautés urbaines de la France.

Comme la Suisse et les Pyrénées, les monts Illyriens, le Monténégro, les âpres régions de l’Albanie nous montrent des populations républicaines également déterminées dans leur formation par les traits du milieu géographique.

Partout nous constatons la même loi générale, quelles que soient les différences provenant de l’infinie diversité du développement humain dans l’espace et dans le temps. L’Europe féodale présentait, dans sa vaste étendue, mille contrastes qui avaient soit facilité, soit retardé l’établissement du pouvoir des seigneurs et la hiérarchie des fiefs.