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révolution humaniste

au fruit de l’arbre de la science : innocence et ignorance avaient cessé d’être synonymes. Certes, tous les humanistes ne furent point des hommes de haut caractère, il y eut parmi eux des gens sans consistance et sans dignité, hypocrites, flatteurs et parasites, et leur action éducatrice en fut nécessairement amoindrie, mais ils n’en apportaient pas moins des connaissances nouvelles, ils n’en ouvraient pas moins des écoles et représentaient la science contre ceux qui, avec saint Paul et saint Augustin, prêchaient l’ « absurde foi ».

Quoiqu’en disent certains, le moyen Age, dans son ensemble, haïssait les livres, et ceux des religieux qui les aimaient quand même, par instinct spontané, avaient été jalousement surveillés comme fauteurs d’une révolte cachée. Pourtant, certains noms de couvents, tel celui du mont Cassin, éveillent l’idée de livres et de manuscrits : le mot de « bénédictins » fait naître l’illusion, si commune parmi ceux qui voient les choses par ordre et de confiance, que les moines du moyen Age étaient pour la plupart appliqués à l’étude, à la lecture, à la transcription des manuscrits, et que nous leur devons le précieux héritage de la littérature antique ; erreur ne tenant nul compte de l’état général de la société pendant cette noire époque et de l’étroitesse d’esprit qu’engendre forcément dans toute communauté la rigide observance des règles ayant pour seul but la diminution de l’initiative personnelle. D’ailleurs, le zèle de l’apôtre Paul, faisant brûler les livres d’Ephèse, anima longtemps les pontifes pénétrés de la ferveur primitive. « On m’apprend, écrivait à la fin du sixième siècle Grégoire le Grand à un évêque, on m’apprend, et je ne puis le répéter sans honte, que votre Fraternité a osé exposer à quelques-uns les principes de la grammaire… C’est chose grave et honteuse qu’un évêque s’occupe de ces futilités, indignes des religieux et des laïques ». Et nombre d’évêques négligeaient en effet ces misères mondaines de l’instruction : plus de quarante prélats, au concile de Chalcédoine, en 451, n’avaient-ils du recourir à l’obligeance de leurs collègues ou de leurs clercs pour attester leur approbation des décrets qu’ils ne savaient pas signer eux-mêmes ? Chez les moines bénédictins, dont le nom est devenu le synonyme d’hommes d’étude, grâce aux religieux érudits du dix-septième et du dix-huitième siècles, la règle n’exigeait pas que le frère sût lire et écrire et ne lui ordonnait point de s’instruire dans les arcanes de l’alphabet pendant son année de noviciat. Chez les moines de Citeaux, la norme pour ceux qui s’adonnaient à la lecture était de ne lire