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l’homme et la terre. — la renaissance

caste opprimée va chercher à l’occasion ses alliés à l’extérieur ; la noblesse urbaine s’appuie sur la noblesse étrangère, les gros marchands concluent des alliances avec les gros marchands d’ailleurs ; le populaire fait appel au petit peuple des cités voisines, à moins que, dans son imprudence, il n’introduise dans les murs quelque puissant seigneur qui flatte ses passions, ou n’acclame un riche distribuant largement ses deniers. Chaque caste ne voit que ses intérêts particuliers et, dans les cités heureuses où l’équilibre s’est peu à peu établi, la Commune n’a d’autre idéal qu’elle-même et ne comprend pas que si elle ne défend la liberté de tous, la sienne est également compromise. Les exemples d’une plus haute appréciation des choses sont rares dans les annales des cités. Lorsqu’en 1289, Florence délivra les paysans de toute servitude, « parce que la liberté, droit imprescriptible, ne peut dépendre de l’arbitre d’autrui», cette noble attitude ne fut guère imitée, et elle même l’oublia bientôt dans sa conduite envers Pise. Peu de républiques eurent de la magnanimité dans la compréhension de leurs vrais intérêts.

Et si les communes étaient destinées à périr de leurs luttes intestines, elles l’étaient aussi de par les guerres continuelles qu’elles soutenaient contre les cités voisines. Florence en veut à Pise de lui prendre la mer, à Sienne de lui fermer le chemin de Rome ; Milan reproche à Pavie, à Crémone, à Brescia de balancer son pouvoir, de diminuer sa part de richesses ! Pas plus à Lucques en 1548 qu’à Milan en 1447, le peuple ne voulut entendre parler d’une fédération de villes ayant toutes les mêmes droits.

Les occasions de conflit sont si nombreuses que la Commune n’a plus le temps de guerroyer par elle-même : elle doit se confier à des spécialistes, à des gens dont le métier est précisément de se louer soit à un prince soit à une ville pour combattre à leur place, gagner leurs victoires ou subir leurs défaites. Celui qui sent en lui l’audace nécessaire, le goût de la rapine, l’esprit des aventures tache de grouper une bande de mauvais sujets, aussi peu respectueux que lui de la vie humaine et des produits du travail et, quand il a réuni sa condotta, parcourt le pays à la recherche de villes dont il puisse entreprendre les affaires. Il se vend au plus offrant, et, si l’ennemi qu’il combattait hier lui offre plus que son allié d’un jour, il change de parti et pénètre comme maître dans la cité dont il était le défenseur. Jamais la loterie de la guerre ne se décida plus brusquement, par coups inattendus, que sous le régime des condottieri.