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l’homme et la terre. — la renaissance

et dans le temps. Les découvertes qui se sont accomplies en Chine et dans l’Extrême Orient avec les Vénitiens, en Afrique et dans les Indes avec les Portugais, puis dans le Nouveau Monde avec les Espagnols et tous les navigateurs de l’Europe occidentale ont singulièrement reculé les bornes de l’horizon terrestre et en même temps accru la portée de l’imagination, l’audace de la pensée ; de même l’érudition, la mise en lumière de la littérature antique rattachent les siècles présents aux siècles anciens, par delà les origines mêmes de l’Église, l’humanité s’est doublement agrandie : d’une part, elle a pris possession de tout son domaine terrestre sur la rondeur complète du globe, et, d’autre part, elle s’est emparée de son héritage gréco-romain depuis les origines de son histoire. Pareille époque mérite bien d’être désignée d’une manière spéciale dans la succession des âges.

Cependant, ce mot « Renaissance » n’a qu’une valeur relative, car avant le xve siècle, avant la fuite des grammairiens grecs de Constantinople, emportant leurs livres vers l’Occident, jamais les lettres latines n’avaient cessé d’être cultivées à Rome et dans les Gaules : Virgile y avait même été vénéré à l’égal d’un père de l’Eglise, presque divinisé. La Renaissance italienne n’avait-elle pas eu Pétrarque pour devancier, un siècle auparavant, et n’avait elle pas été précédée par la Renaissance arabe, durant laquelle les Maures, les Juifs, les Levantins apportaient en Europe la connaissance de l’Asie orientale, de ses conditions géographiques, de ses populations, de ses produits et de son histoire ? A toutes les époques, il y eut des « renaissances » d’une valeur plus ou moins décisive. Avant celle qui répondit aux découvertes de Gutenberg et de Colomb, on cite couramment celle de Charlemagne, puis celle du douzième siècle qui, excitée par la philosophie de l’antiquité, eut l’avantage de ne point en être dominée, comme le fut sa jeune sœur, la grande Renaissance.

De même que de contrée en contrée les migrations et les transplantations sont fréquentes, donnant ainsi lieu à des phénomènes d’ordre très différents de la routine des choses, de même des « sauts » de siècle à siècle peuvent s’accomplir par dessus les âges intermédiaires et rendre à des idées antiques une jeunesse nouvelle : telle génération ne resplendit en sa deuxième fleur qu’après des intervalles de décadence et de stérilité. C’est ce qui arriva pour la littérature, la philosophie, la morale des anciens, au sortir de la sombre époque du moyen âge.