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l’homme et la terre. — découverte de la terre

sur le vol des oiseaux et sur tous les autres indices que lui fournirent les eaux et l’atmosphère. Enfin, après un parcours de plus d’un mois, il atteignit le superbe portail du Pacifique, entre des piliers de granit qu’entourent les brisants et, laissant derrière lui la « Terre des Fumées » et le continent américain, cingla librement dans les solitudes immenses de la mer du Sud. A peine aperçut-il ça et là quelque îlot dans cet Océan, que l’on a pourtant comparé à la voie lactée à cause de la multitude de ses archipels et, quatre mois après être sorti du défilé marin, il atteignait l’archipel dit actuellement des Philippines.

Mais il ne devait point le dépasser. Ayant pris part aux guerres locales, dans un accès de folie orgueilleuse, il y périt misérablement, sans avoir achevé la circumnavigation du globe, puisque de Malacca, où il avait guerroyé sous les ordres d’Albuquerque, à l’île de Mactan, où il s’enliza, tout blessé, dans la plage vaseuse, l’écart entre les méridiens représentent environ la dix-septième partie de la circonférence terrestre. Après la mort de Magellan, le voyage de retour ne fut plus qu’une déroute : ses compagnons, réduits constamment en nombre par les désertions, le scorbut, la faim, les privations de toute nature, fuyaient à travers la mer des Indes, puis à travers l’Atlantique, aussi vite que le permettaient la houle, les vents, leur carène chargée d’herbes et de coquillages, leurs mâts rapiécés et leur voilure en lambeaux. Enfin, des 234 navigateurs partis trois années auparavant de San Lucar de Barrameda, il en revint 13, hâves, déguenillés, lamentables, dont l’histoire a recueilli les noms : parmi eux se trouvaient le pilote Albo et le marin basque Sébastian del Cano qui commandait les restes de l’expédition et auquel Charles Quint donna le remarquable blason : « Primas circumdedisti me ». Le Vicentin Antonia Pigafetta, qui raconta en français, pour avoir beaucoup de lecteurs, les vicissitudes du grand voyage, était aussi au nombre des survivants.

Ces pauvres fugitifs, que des planches vermoulues défendaient à peine du naufrage, rapportaient pourtant une cargaison d’une richesse inouïe. On dit que leur avoir en clous de girofle représentait une valeur de 100 000 ducats, près de cinq fois ce qu’avait coûté l’entier armement de leur flotte avant leur départ du Guadalquivir ! Le manque d’équilibre commercial entre les deux moitiés du monde pouvait amener de tels contrastes dans les prix de production et d’achat des denrées. Malgré le monopole que les possesseurs des diverses « Indes», continentales et