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l’homme et la terre. — découverte de la terre

entre les deux grands marchés européens. Lisbonne, qui possédait l’avantage de l’initiative et de l’attaque, aux lieux mêmes de la production des épices et autres denrées précieuses, remporta la victoire en un petit nombre d’années. Divisant pour dominer, les Portugais soulevèrent les petits rois contre le grand tamutivi ou « Zamorin » de Calicut, le « Seigneur de la Colline et de la Vague », et bientôt, en 1503, ayant pris pied sur le littoral en qualité de conquérants, ils établissaient un fort dominant l’escale de Cochin et s’y maintenaient victorieusement.

Les hauts faits, les entreprises audacieuses se succédèrent avec une étonnante rapidité : à cette époque, les Portugais, petit peuple très fier de son passé, plein de confiance en ses destinées présentes, se croyait à la hauteur de tous les prodiges. Et vraiment, les quelques centaines, puis les quelques milliers d’hommes dont les Gama, les d’Almeida, les d’Albuquerque, les Coutinho pouvaient disposer pour attaquer ce monde développé en un amphithéâtre immense autour de l’océan des Indes, accomplirent des merveilles d’énergie, comme s’ils avaient été animés de forces surhumaines. En 1507 et 1508. ils luttent contre les flottes égyptiennes, qui voulaient maintenir à tout prix le monopole d’Alexandrie comme marché des denrées de l’Inde, et les détruisent complètement ; en 1510, ils s’emparent de Goa, dont ils font l’entrepôt de l’Inde gangétique, et l’année suivante, à quelques milliers de kilomètres plus loin, ils s’introduisent de force dans la grande cité maritime de Malacca, où venaient se rencontrer les quatre nations commerçantes de l’Extrême Orient, groupées chacune en son quartier respectif, les Goudzerati ou Hindous occidentaux, les Bengali, les Javanais et les Chinois. Puis en 1515, ils s’établissent en maîtres dans l’Ile d’Ormuz, la gardienne occidentale de l’Océan Indien, où les richesses de l’Asie Mineure, de la Babylonie et de l’Iran s’échangeaient contre les trésors de l’Inde, le marché central qu’un proverbe persan dit être l’ « escarboucle sertie sur la bague du monde ». Enfin, dès l’année 1518, les navires portugais parcourent les eaux de Banda et des Moluques et vont charger directement aux lieux de production les épices qui étaient à cette époque plus précieuses que l’or. Le roi de Portugal pouvait se proclamer le « maître du commerce de l’Inde et de l’Ethiopie ». Lisbonne, la capitale d’un minuscule royaume, devint le principal entrepôt du monde et, pour un temps, elle eut le monopole absolu du poivre, du gingembre, de la cannelle, du clou de girofle et de la muscade. Ni