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l’homme et la terre. — découverte de la terre

Cependant, un problème géographique de premier ordre avait été soulevé par la découverte même de Colomb. Avait-il réellement trouvé les « Indes ». ainsi qu’il le prétendait, ou bien avait-il débarqué dans un « Monde nouveau » comme le disait Amerigo ? Entêté dans son idée, Colomb voulait, contre toute évidence, que Cuba fût une péninsule d’Asie : pourtant il ne la longea pas jusqu’à son attache continentale et, tachant de perpétuer ce qu’il pressentait être une erreur, il alla même jusqu’à menacer les gens de son équipage s’il leur arrivait de parler de cette terre comme d’une île véritable[1]. Mais, puisqu’il voulait s’imaginer ainsi longer les côtes de l’empire du grand khan, il devait trouver dans la direction du sud-ouest le détroit par lequel Marco Polo avait contourné l’Asie, accompagnant en Iranie la princesse mongole qui allait au-devant de son fiancé. Ce détroit, il en avait entendu parler lorsqu’il suivait les rives de Veragua, ou plutôt c’est ainsi qu’il interpréta ce que lui dirent les indigènes d’une mer très voisine, prolongeant au loin ses eaux dans la direction du sud et de l’ouest, mais il chercha vainement l’entrée de ce passage, laissait à d’autres navigateurs la trouvaille du mystérieux chemin. On le chercha longtemps encore après lui, et même au milieu du seizième siècle on le cherchait toujours, bien que s’occupant déjà d’un nouveau problème, celui de percer un canal artificiel, puisqu’on ne réussissait pas à découvrir le détroit naturel, l’estrecho, comme il était désigné par excellence.

Parmi les aventuriers et les chercheurs de richesses qui s’étaient risqués dans la Castille d’Or — la partie de l’isthme américain qui s’étend le long de la mer des Caraïbes, entre le golfe d’Uraba et la lagune de Chiriqui, — se trouvait un vaillant et rusé capitaine, Vasco Nuñez de Balboa, homme perdu de dettes, coupable de trahison et de meurtre, d’autant plus désireux de se rendre illustre par quelque grande action. L’occasion se présenta. Dans une de ses expéditions de pillage, il apprit d’un Indien quelle route il lui faudrait suivre pour atteindre, de l’autre côté de la Sierra, un estuaire de la mer opposée, et, vers la fin de l’année 1513, il atteignit en effet la bouche d’un estuaire s’ouvrant dans l’Océan Pacifique. En sa resplendissante armure de guerre, il s’élança sur un rocher qu’entourait l’eau montante du flot et prit emphatiquement possession, « pour la couronne de Castille, de toutes les mers australes,

  1. Navarrete, tome II, v ; — Oscar Peschel, Zeitalter der Entdeckungen, p. 200.