Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
12
l’homme et la terre. — les communes

Cette Suisse champêtre, où les barons avaient solidement installé le régime aristocratique, coupait ainsi en deux la Suisse des montagnes avec ses vallées dont les populations constituaient par la force des choses autant de petites républiques, indépendantes de part et d’autre. Les combes allongées du Jura restaient séparées des vallées tortueuses des Alpes ; seulement, au sud, les deux systèmes orographiques, se rencontrant en pointe à l’extrémité sud-occidentale du Léman, établissaient le raccord entre les régimes sociaux : Genève et la percée du Rhône, coin de terre si remarquable au point de vue géologique, géographique, hydrologique, l’est également à celui de l’histoire.

Un autre district de la Suisse est d’une égale importance dans la succession des événements qui ont déterminé l’équilibre actuel de l’Europe. C’est la plaine où l’Aar, sur le point de se joindre au Rhin, reçoit ses affluents des Alpes centrales. C’est en cet endroit que les Romains avaient placé leur cité militaire, Vindonissa (Windisch), où se rencontraient les routes descendues des cols alpins, et cette même position stratégique devait être également utilisée par les Germains : les ruines du château féodal de Habsburg, d’où descendit la famille impériale régnant encore sur l’Autriche, ne s’élèvent elles pas au-dessus des campagnes où s’étendait la cité romaine ? Mais, dès que la forte main de Rome eut cessé de tenir cette clef de toutes les vallées, dont elle possédait aussi les cols supérieurs et où des armées avaient tracé de larges routes, les habitants de chaque val distinct avaient repris leur autonomie naturelle : ils la gardèrent pendant les mille ans du moyen âge, car les communautés montagnardes étaient désormais assez puissantes pour résister aux attaques des seigneurs couverts d’armures, montant péniblement des plaines basses.

Ces barons, pourtant, se présentaient d’ordinaire plus en clients qu’en prétendants à la suzeraineté. Attirés vers l’Italie où tant de cités somptueuses, tant de riches industries sollicitaient les pillards, les seigneurs allemands avaient besoin des bergers de la montagne pour se faire guider à travers les rochers et les neiges ; il leur fallait payer un droit de passage par des présents, des promesses et, souvent, une part du butin dans le sac des cités lombardes. Ainsi les vallées centrales des Alpes suisses, fédérées par leurs intérêts communs qui étaient à la fois de résister à la pression germanique et de l’utiliser par un péage régulier, se constituèrent graduellement en un noyau solide, pouvant servir de point d’appui aux communautés environnantes plus menacées ou situées