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l’homme et la terre. — découverte de la terre

préliminaires de l’entreprise colombienne provenait de ce que les cartes de l’époque représentaient l’Ancien Monde comme ayant de l’ouest à l’est une dimension de beaucoup supérieure à la réalité. Déjà sur tous les portulans, l’axe longitudinal de la Méditerranée comportait 60 degrés, tandis qu’en réalité il est du tiers seulement, et, pour les images de l’Asie, on s’en tenait aux évaluations de Marinus de Tyr, d’après lesquelles la largeur totale de l’Ancien Monde, entre les îles Fortunées et la capitale du pays de la Soie, s’étendrait sur un espace de 225 degrés, près des deux tiers de la circonférence terrestre. Il est vrai que les Arabes avaient appris à rectifier ce dessin et ramenaient à 180 degrés, même à 174 et à moins encore[1], les dimensions de l’Eurasie, corrections qui ne furent point acceptées par les Behaim et les Toscanelli. Ce n’est pas tout : les géographes du temps, et, avec eux, Colomb, interprétaient un détail des voyages de Marco Polo en admettant que les 1 500 li de distance entre le rivage de la Chine et l’archipel de Zipango ou Japon signifiaient autant de milles italiens — 1 480 mètres au lieu de 576 — : la grande dépendance insulaire de l’Asie se trouvait ainsi rejetée au loin dans l’Océan, et l’espace à franchir en partant de l’Europe vers l’Orient était d’autant diminué. Les deux hypothèses, l’une amoindrissant la circonférence de la Terre, l’autre agrandissant de beaucoup la surface de l’Ancien Monde et de ses îles orientales, servaient également Colomb pour lui permettre de conclure aux faibles dimensions relatives de l’Atlantique entre l’Europe et les Indes. En somme, toutes les erreurs accumulées faussaient radicalement la distance entre les Açores et l’archipel Japonais. Le globe de Behaim l’estime à environ 36°, dixième partie de la circonférence terrestre, elle est en réalité de plus de 180° ; si on l’évalue en kilomètres et tient compte de la latitude de ces territoires, il faut en compter 16 000 et non 3 000.

Sénèque avait déjà dit, Roger Bacon, Pierre d’Ailly et d’autres avaient répété qu’ « avec un bon vent il suffirait d’un petit nombre de jours pour traverser la mer ». De plus, et ce fait devait aider le marin dans ses illusions, les insulaires des Canaries voyaient souvent échouer sur leurs rivages des fruits et des rameaux d’espèces étrangères, parfois même des produits d’une industrie humaine inconnue, et attribuaient volontiers toutes ces épaves à une grande terre située vers l’Occident.

  1. Oscar Peschel, Zeitalter der Entdeckungen, p. 94.