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l’homme et la terre. — découverte de la terre

terres insulaires, mythiques ou existantes, qui apparaissent sur les cartes, prouvent que des expéditions tentées par esprit d’aventure, ou forcées par la tempête, s’étaient faites vers le grand Ouest. La religion, mêlée au souvenir des mythes platoniciens, se mêlait à ces recherches. On disait que sept évêques bannis pour leur foi s’étaient réfugiés au loin dans les immensités de l’Océan et qu’ils y avaient découvert sept îles heureuses, ou bien que, dans une terre fortunée, ils avaient fondé sept villes, celles que recouvrent aujourd’hui les flots du lac das Sete Cidades, dans l’île de Sâo Miguel. Une légende irlandaise racontait aussi comment un moine fervent, le saint Brandan ou Brandaines, erra pendant sept années d’île en île à travers la mer « visqueuse » — souvenir des récits de Pythéas — jusqu’à ce que les anges conducteurs l’eussent amené à la « Bonne terre », un paradis où des fruits naissaient partout pour le plaisir du voyageur. Aussi les cartes et les livres de l’époque mentionnent tous une ou plusieurs terres de Brandan, que la découverte des Iles du cap Vert et des Açores refoula beaucoup plus avant, ainsi que d’autres îles mythiques, dans l’inconnu de la haute mer. Les mahométans, durant leur période de domination dans la péninsule Ibérique, eurent aussi leur part dans les aventures océaniques. Une tradition arabe parle des huit pères Almaghmirin, les « Déçus » ou les « Errants », qui partirent de Lisbonne et découvrirent en effet une île, d’où ils furent ensuite ramenés, les yeux bandés, vers une côte inconnue, atteignant finalement le port marocain de Safi : tel est le témoignage d’Edrisi. Ibn Khaldun, écrivant en 1377, s’imagine encore que la « mer des Ténèbres » est fort difficile à naviguer « parce que les vapeurs s’élevant à la surface de l’eau rendent la navigation impossible ; en effet, les rayons du soleil, réfléchis par la terre, n’atteignent pas ces régions éloignées »[1]. La vaste mer, ouverte peut-être aux saints, passait pour ne pas être permise aux hommes. Ainsi que le répète encore Dante en sa Nouvelle Comédie, « Hercule a planté ses deux amers sur les rives du détroit, afin que nul ne se hasarde à les dépasser ».

Mais les intérêts de l’Europe, et pas seulement ceux du Portugal, exigeaient que la « mer des Ténèbres » fût également reconnue, que la rondeur de la terre fût explorée, et Lisbonne, déjà située en dehors des deux bornes naturelles de Gibraltar et de Ceuta, n’était-elle pas le point

  1. Reinaud, Aboulféda, tome I, p. 265.