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l’homme et la terre. — découverte de la terre

qui étaient alors dans toute la furie de leurs conquêtes aventureuses[1] : le Génois qui bâtit un « chastel » dans l’île de Lanzarote, peut-être vers la fin du treizième siècle, était un Lancelot de Maloisel, dont le nom, modifié à la génoise, devint, dans l’histoire de la République, « Lancilote de Maloxilo » ; l’ile elle-même, reçut aussi cette dénomination. Un siècle plus tard, en 1402, un autre Normand, mais celui-ci venu directement de sa province, Jean de Bethencourt, partit de la Rochelle avec 53 compagnons de la France occidentale, débarqua dans Lanzarote et commença l’occupation de l’archipel pour la couronne de Castille. Après des péripéties diverses, cette conquête s’accomplit, au grand dommage de la belle et intelligente population indigène, dite des Guanches, probablement apparentée aux Berbères de la Maurétanie, et « qu’une évangélisation bien conduite fit promptement disparaître »[2].

Ces insulaires avaient conservé en grande partie leur civilisation, lointainement influencée par celle de l’Égypte ; ils peignaient encore des hiéroglyphes sur leurs rochers et conservaient leurs morts sous forme de momies. Leurs mœurs et institutions témoignaient d’une culture antique très développée, qui dut régresser par suite de la faible étendue du théâtre où elle était cantonnée et des dures conditions aristocratiques auxquelles elle était soumise. Une des preuves les plus remarquables du recul des Guanches était le manque absolu d’embarcations, ou même de radeaux, dans tout l’archipel. Tandis que leurs ancêtres avaient, sans nul doute, équipé des flottes pour se rendre du continent dans les îles, eux-mêmes ne pouvaient naviguer de l’une à l’autre des terres qu’ils apercevaient à l’horizon : ils étaient devenus captifs de l’Océan. Comme le disait une de leurs traditions, le dieu qui les avait placés sur ce rocher de la mer avait fini par les oublier.

Les barbares espagnols et normands leur firent revoir la terre d’origine, mais comme esclaves : ils vendirent la plupart des indigènes aux marchands du Maroc, et maintenant il ne reste plus un seul Guanche des Canaries, à l’exception des gens de race croisée dont les technologistes s’essayent de leur mieux à retrouver les traits et les indices. Pendant le quinzième siècle, les seuls objets de trafic, en dehors de l’homme, furent la drogue pharmaceutique du sandragon et l’orseille,

  1. Nouvelles Annales des Voyages, 1846.
  2. Journal des Débats, 26 déc. 1896.