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l’homme et la terre. — découverte de la terre

rants de races diverses groupés en Espagne sous le nom d’ « Arabes » se préparaient à quitter la Péninsule et à repasser ce détroit de Gibraltar, qui est, comme le Bosphore, un des traits les plus essentiels dans l’histoire de la planète. Un changement d’équilibre se produisait ainsi que dans les plateaux d’une balance. Les routes orientales manquant successivement à l’Europe, une route occidentale s’imposait : rejetés de la mer Rouge, du golfe Persique et de la mer Noire, les navigateurs de la Méditerranée se trouvaient ramenés vers l’Océan, et la découverte du Nouveau Monde devenait nécessaire.

Il put sembler tout d’abord que, dans l’ensemble du développement humain, les pertes l’emporteraient en d’énormes proportions sur les avantages. La prise de la seconde Rome, qui, depuis tant de siècles, se dressait comme un phare du côté de l’Orient, paraissait devoir coïncider avec l’abandon définitif des contrées lointaines d’où l’humanité consciente avait reçu sa civilisation première ; tout le domaine où s’était déroulée l’histoire partiellement légendaire des premiers âges était désormais interdit aux Occidentaux, et non seulement ce tombeau qui, pour les chrétiens, était le signe représentatif de la Rédemption céleste, mais aussi toutes les terres classiques où naquirent les mythes primitifs du paradis et du déluge, de la rencontre et de la dispersion des peuples, du passage de la mer Rouge et du séjour dans le désert. Puis, avec l’Iranie, l’Arménie et la Chaldée, la Syrie, l’Égypte, l’Asie Mineure devaient être également interdites à l’Européen, et la plus grande partie du monde grec, peut être ce monde tout entier, avec les lieux sacrés d’Athènes, de Marathon, de Salamine, avec les îles et les vallées où naquirent les dieux de l’Olympe, étaient retranchés du territoire laissé aux héritiers de leur civilisation. L’humanité consciente avait perdu la cendre des aïeux !

Sans doute, l’intérêt des princes musulmans eux-mêmes leur commandait de ne pas rompre les relations de commerce les rattachant aux peuples occidentaux, et le fil d’or qui, de ville en ville, unissait les ports de l’Atlantique à ceux de l’océan Indien et du Pacifique ne fut jamais complètement tranché. Pendant un siècle encore après la prise de Constantinople, les Vénitiens conservèrent des possessions dans la Méditerranée orientale, et les Génois, tout en perdant la domination directe de Kaffa, dans la Crimée, essayèrent du moins de maintenir la ligne des marchés qu’une série de « châteaux génois » protégeait à travers les monts Caucase et jusqu’en Arménie et aux portes de l’Iran. Mais que de