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extermination des habitants

lement dès que la paix est rétablie. De là ces périodes successives de prospérité et de misère par lesquelles ont passé les « potamies » du Turkestan, dont on peut comparer l’éclat intermittent à celui des phares à éclipses, tantôt éblouissants de leurs gerbes de rayons, tantôt n’émettant qu’une vague lueur. Même après le premier passage des Mongols, au commencement du treizième siècle, le désert ne se fit que pour un temps.

Lorsque Djenghis-khan prit Samarkand d’assaut, en 1219, il en égorgea les 140 000 défenseurs et se crut un vainqueur clément en ne tuant que 400 000 de ses habitants paisibles. Après Samarkand, le Seigneur des seigneurs visita Balkh, la « mère des cités », où l’on comptait douze cents mosquées et deux cents bains publics, couvrant un espace de 30 kilomètres en circonférence. Tout fut rasé, et, près de là, le faubourg de Siyagird fut également changé en un vaste champ de pierres, n’ayant pas moins de 13 kilomètres, du nord au sud[1]. Quant aux habitants, on sait ce qu’en fit le vainqueur : les pyramides de cadavres se dressèrent au pied des remparts démolis. Merv eut le même sort que Balkh, et ses résidants, entraînés en processions hors de la ville, furent abattus méthodiquement, comme le sont de nos jours les bœufs dans les saladeros de la Plata. Et tant d’autres cités furent traitées de la même manière ! La solitude se fit de la Caspienne au Pamir.

Et pourtant, un siècle et demi plus tard, le terrible « Boiteux », Timour-lenk ou Tamerlan, put recommencer les massacres, tant le pays s’était repeuplé et enrichi à nouveau. Un répit de quatre ou cinq générations avait suffi pour rendre à ce pays dévasté la vie sociale, les industries, la recherche des sciences et même la pratique des arts.

Redevenue capitale sous Tamerlan, Samarkand fut aussi la plus belle cité de l’Orient ainsi qu’en témoignent les édifices merveilleux que le temps a respectés. Les plus beaux restes de l’architecture iranienne se voient non dans la Perse elle-même mais dans les grandes villes du Turkestan, et ceux qui les firent édifier furent précisément ces hommes sans aucun souci de la vie humaine, ne tenant aucun compte des volontés ou goûts de qui que ce fût. Il faut que le sentiment de l’art et même l’amour de la science eussent été bien spontanés et bien vivants dans la génération antérieure pour se maintenir ainsi

  1. Grodekov, trad. par Gh. Martin, From Herat to Samarkand.