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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

livre qu’il dicta plus tard dans une prison de Gênes, à l’un de ses compagnons Rusticiano di Pisa, et que l’on publia en français, la langue populaire paraissant à cette époque la plus claire et la plus policée, fut pour ses contemporains comme une révélation d’un monde nouveau, et les yeux des Occidentaux restèrent fixés sur cet empire du Soleil levant, le pays du jade et de la soie, des émaux, des porcelaines et des laques. Lorsque Vasco de Gama doubla le cap des Tempêtes, lorsque Colomb cingla hors de l’estuaire de Palos, ils regardaient de loin vers le royaume de Kathay et l’île mystérieuse de Zipango. Le Nouveau Monde serait certainement plus tard venu dans l’ensemble de la planète si Marco Polo, cheminant de l’Occident à l’Orient, n’avait pas fait signe à Colomb par-delà les âges et ne lui avait pas indiqué sur la rondeur de la Terre le chemin de l’Orient à l’Occident.

La désagrégation de l’empire des Mongols, hâtée par l’entrée des races les plus diverses dans les hordes guerrières, était inévitable quand les haines religieuses en arrivèrent à diviser géographiquement le pays conquis. Tandis que le gros de la nation mongole transformait en bouddhisme son chamanisme primitif, les envahisseurs de la Chine s’accommodaient aux doctrines de Confucius, les conquérants du Turkestan et de l’Iranie se faisaient mahométans, et l’aile européenne des armées d’invasion se laissait pénétrer quelque peu par la religion du Christ. Mais le maintien de l’unité politique devint complètement impossible quand le centre de la domination abandonna son lieu d’origine, au milieu de la Terre des herbes. Aussi longtemps que le cerveau de l’empire se trouva dans Karakorum, l’homogénéité géographique des vastes plaines de l’Europe et de l’Asie put correspondre à un organisme historique, mais, par suite de l’attraction naturelle qui se produit sur tous les peuples en marche, le grand mouvement d’exode des tribus mongoles et de toutes celles qui avaient été entraînées dans leur sillage devait graduellement dévier vers le sud.

C’est ainsi que, plusieurs siècles auparavant, les peuples barbares assaillant l’empire romain s’étaient sentis attirés vers les riches pays du midi par un irrésistible aimant, puis avaient disparu dans la population conquise quand ils eurent été soumis aux influences dissolvantes d’un nouveau milieu. Les Ostrogoths se perdirent parmi les Bysantins, les Lombards se fondirent avec les Celtes et les Latins de l’Italie, les Visi-